Quel est le sens ?
J’entends souvent
des gens parler de « trace ».
Celle qu’ils
laisseront une fois éteints. Celle qu’ils s’appliquent à aligner
consciencieusement sur un miroir avant de se la mettre dans le nez. Celle
qu’ils suivent ou bien qu’ils veulent effacer…Laisser une trace, une empreinte
dans l’histoire, une preuve de notre passage ici-bas.
Je n’ai jamais
vraiment compris le sens de tout cela. Bon, il faut que je vous avoue que
depuis que je suis en âge de réfléchir et d’aussi loin que je me souvienne,
j’ai toujours été perturbé par ce qu’il faut bien appeler « la quête de
sens ».
C’est même devenu un
gimmick chez mes amis proches qui m’associent irrémédiablement à cette foutue
quête de sens. Trouver un sens à toute chose m’obsède. C’en est même
handicapant dans une vie quotidienne je dois bien l’avouer.
En effet chacune de
mes actions, de mes paroles, de mes pensées doivent normalement avoir un sens,
et quand je ne le trouve pas me revoilà plongé dans l’abyme, une fois de plus,
chaque fois un peu plus profondément.
L’absurdité du monde
est peut être une des raisons de ce désarroi perpétuel dans lequel je marine,
mais elle est surtout une excuse à mes actes. Une caution me permettant de
faire n’importe quoi.
Ben oui, je fais
n’importe quoi…et ça n’a pas beaucoup de sens, pour ne pas dire aucun.
Néanmoins, même
lorsque j’agis de la sorte il me faut trouver un sens, une raison, un but
parfois.
Je n’y arrive pas
souvent je dois vous le confesser.
Hier soir je
rentrais chez moi, soucieux mais malgré tout totalement conscient, il devait
être vingt heures. Le second souvenir de ma soirée se situe vers 3 heures du
matin, au milieu de ma chambre, plein de produits et d’alcool en train
de constater qu’il y’a 3 guitaristes qui s’échinent à massacrer
consciencieusement les morceaux que je tente de débuter, moi-même étant
totalement incapable d’aligner 2 accords de suite en cadence.
Ça n’a aucun sens.
Absolument aucun. Parfois je bois pour oublier, mais si je me souviens de cela
il m’arrive d’oublier ce que je voulais justement oublier et, paradoxe suprême,
ça me rend fou furieux.
C’est totalement
con, destructeur et malsain, mais c’est ainsi. Je le sais, je l’assume et
pourtant…
Pourtant j’ai la
sensation que mon cerveau est en train de fuir. Alors finalement si j’écris
ici, c’est peut être pour faire comme les autres et tenter de laisser une
trace, ou plus simplement pour me rappeler à moi-même ce que j’ai pu faire et
quelles furent les raisons de ma perte de raison.
Car oui, j’ai de
plus en plus de perte de conscience, ou plutôt de mémoire et de lucidité. J’appelais
ça des « crises de rage » quand j’étais gosse. Ça m’est arrivé peu de
fois, heureusement, mais je reprenais mes esprits au milieu d’un chaos
monstrueux que j’avais moi-même produit, brisant les meubles, déchirant ou
brûlant minutieusement mes dessins, tentant même de me jeter par les fenêtres,
ce qui me fut évité par ma sœur que j’aime plus que tout.
Ces épisodes
troublants je ne voulais absolument pas qu’ils fussent dévoilés à quiconque. A
part ma frangine qui, logeant dans la chambre mitoyenne à la mienne, ne pouvait
échapper au vacarme de mes accès de furie, personne ne l’a su.
Elle a bien tenté de
vouloir en parler mais elle a eu pitié de moi quand je lui disais que je ne
voulais pas aller chez les fous.
Les enfants
maquillent leurs peurs avec des mots, chez moi le mot était la folie.
Au milieu des
centaines d’autres ouvrages qui composaient la bibliothèque familiale, il y’en
avait un qui sortait immédiatement du lot et accrochait mon regard sans jamais
le lâcher. Ce livre était « l’histoire de la folie dans l'antiquité» de Michel
Foucault. Le terme même de folie était, je pense, la raison de mon attirance
incroyable vers ce bouquin.
La couverture était
une gravure représentant des malades dans un asile d’aliénés au XVI ou XVIIème
siècle. Effrayante image de ces gens hurlant de douleur ou d’angoisse, tendant
leurs mains vers le ciel comme pour demander grâce.
Aujourd’hui encore
cette image me glace d’effroi autant qu’elle m’attire.
Je n’ai jamais
réussi à le lire en entier. Il faut dire qu’à 8 ans je défie quiconque de lire
Foucault et d’en comprendre un traître mot. Mais j’ai réessayé par la suite,
sans succès. Non pas que ça ne m’intéressait pas, mais je sais être terrorisé
par ce que l’on nomme communément les fous.
Et puis ce livre
appartenait à ma mère qui a eu la mauvaise idée de mourir quand j’avais 3 ans
et c’est elle-même qui avait inscrit son nom à la plume d’une encre bleue pâle
au début du livre. Je vous laisse imaginer ce que ce livre a pu syncrétiser dans
ma tête de gosse passablement perturbé.
À chacun ses petites
angoisses, moi c’est la peur d’être considéré comme fou et d’être interné. Même
si aujourd’hui ce mot à beaucoup plus de sens qu’à l’époque, il reste toujours
un sujet à part dans ma réflexion personnelle.
Ces crises décrites
ci-dessus cessèrent dès lors que je suis devenu toxicomane à temps plein. C’est
un métier vous savez, on commence à mi-temps, mais la conscience
professionnelle et l’amour du travail bien fait vous rattrape vite.
Les années
passèrent, ma colère se déversa tantôt au creux de mon bras, tantôt sur les
gens que j’aimais mais toujours je conservais ma lucidité. J’avais conscience
de mes actes, le sens qu’ils avaient n’a pas d’importance ici, la seule chose
que je retiens est que je n’ai plus été traversé par ces moments ou je sors de
mon corps, de ma tête et que je suis prêt à me mutiler.
Voilà près de deux
mois c’est revenu. Je sors du bar ou j’avais bu quelques whiskys, mais rien
d’énorme non plus, et là…black-out jusqu’à mon premier éclair de lucidité
quelques heures plus tard. Durant ce bref instant je constate avec effroi que
j’ai cassé à peu près tout ce qui pouvait l’être dans la pièce et que je
m’applique à déchiqueter un par un certains de mes dessins préférés.
Je vous avoue mes
amis qu’à ce moment là je n’étais pas fier du tout. Et mon premier réflexe fut
de m’enfermer à clé et de jeter mes clés dans l’appartement afin d’éviter de
sortir.
Et puis re-trou noir
jusqu’à ce qu’une apnée du sommeil me réveille en sursaut, mes chaussures
lacées, ma veste mise et mon sac en bandoulière prêt à partir gambader.
Je suppose que j’ai
du tenter de sortir et que je me suis acharné sur la porte qui avait une sale
gueule à cette heure matinale. Et puis j’avais tellement mal aux mains que je
pense avoir cogné dessus comme un crétin…
Je passe sur les
détails plus ou moins sordides de cet épisode pour arriver là ou je veux en
venir. Quel est le sens de tels actes ? Quelles sont les raisons de cette
frayeur ? De cette rage ? Je ne les trouve pas.
Je les cherche avec
l’aide de ma psy, je vois un psychiatre tous les 15 jours, j’ai pléthore de
médicaments pour tenter de réguler ça, mais au final n’est-ce pas simplement la
preuve de l’incapacité du corps médical à soigner cela ?
J’ai une confiance
aveugle en la médecine, elle m’a sauvé trop de fois la vie pour que je la
méprise, mais elle est démunie face à cette étrange pathologie. Les psychiatres
me parlent de confusion mentale, certains d’épilepsie, d’autres encore
appuieront le fait que l’alcool et les médicaments ne font pas bon ménage…mais
aucun n’a de certitude.
Bon ok, les médocs
et la gnôle c’est pas top, c’est certain, mais c’est bien la seule chose dont
je sois sur !!
Je sais que je ne
suis pas fou, mais je sais également que je ne suis pas totalement en bon état.
Je pourrais trouver toutes sortes d’excuses, de raisons à cela, mais aucune ne
me convient.
Et me voilà
totalement dépourvu dès lors que je cherche à trouver un sens à cela.
J’ai rendez-vous
chez un neurologue, on va faire un électro-encéphalogramme. Mais je doute, et
j’espère, que la cause n’est pas physiologique. En même temps ça me permettrait
de trouver un putain de sens !
Alors on laisse des
traces, on veut marquer le temps de son empreinte, on cherche à se distinguer
histoire que l’on se souvienne de nous…tout ça je m’en cogne, une fois dans le
trou quelle importance qu’on se rappelle ou non de moi ? Il paraît qu’on
fait vivre encore un peu les gens qu’on a aimé si on pense à eux…quelle
connerie !
La seule chose qui
m’importe désormais est de passer le temps qui me reste ici-bas en étant le
plus serein possible. Je ne le serais jamais totalement, mais je sais que je
peux faire cesser ces mouvements de métronome effroyablement violents.
Alors j’avance, un
pas après l’autre, pas très assuré mais j’avance.
Mes amis sont là,
pas loin, j’en ai besoin. Ma famille est un peu plus loin mais je crois en
avoir également besoin.
J’ai tué trop
d’espoirs, saccagé trop de jolies choses, je suis rassasié de violence et
d’ombre.
Et je la vois
s’éloigner, et je cours le long de la jetée, et je crie…je crie qu’elle ne
m’oublie pas, qu’elle ne parte pas. Mais le bateau s’éloigne, lentement mais
inexorablement, et nous n’avons même pas pu nous aimer…même pas pu nous faire
mal. Et plus grand-chose dès lors n’a de sens...
Je vous jure qu’il
y’a certains matins ou le constat n’est pas terrible.
Ça ira mieux demain.
HASTA
SIEMPRE !!
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