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Pervitine

Hier soir j’ai entamé un nouveau visionnage de SHOAH.
Entamé car on ne peut pas se l’enquiller d’une traite, d’une part du fait de la durée de l’œuvre, d’autre part du fait de la dureté de l’œuvre…De toute façon au bout de 20 minutes j’ai déjà flingué la boite de 100 mouchoirs tant la tristesse m’étreint.
Il y’en a qui chialent devant des films sirupeux et plein de bons sentiments, ben moi c’est quand je regarde ce monument. Entre autre.

Par ce qu’il a fait, et à l’époque où il l’a fait, je serai éternellement reconnaissant à M. Claude Lanzmann. C’est clair, net et pourtant….
Pourtant voilà quelques mois (ou années, ma notion du temps est de plus en plus distordue avec l’âge), en tout cas suffisamment récemment pour que ça m’ait marqué, le dernier sentiment qui accompagna Lanzmann fut l’incompréhension et aussi, un peu, la colère.
En substance j’avais assisté à un débat autour de la SHOAH et Lanzmann y déclarait sans ambages que son œuvre était tout ! Que rien de plus ne pourrait être su, dit, écrit, filmé au sujet du génocide des juifs européens entre les années 1940 et 1945. La destruction des juifs allemands ayant débutée bien avant, le début du génocide à proprement parlé coïncide bien avec les dates des mouvements militaires de la Wehrmacht  que sont l’invasion de la Pologne en Septembre 39 et l’opération Barbarossa (invasion de la Russie et destruction de la civilisation slave et, bien entendu, juive…vaste programme !) en Juin 41. Cela est magistralement décrit dans l’œuvre de Raul Hilberg : « La destruction des juifs d’Europe » en plusieurs volumes, livres arides s’il en est, écrits par un universitaire à l’attention d’autres universitaires, ces livres (et notamment le volume 1) sont des sources inépuisables d’information sur le processus qui aboutit à la mise en place de la solution finale, ou Action Reinhard.  Hilberg est d’ailleurs interviewé dans SHOAH de Lanzmann et c’est émouvant de voir parler celui que j’ai lu avec tant de passion et d’intérêt.

Lorsque j’avais entendu Claude Lanzmann affirmer qu’après son grand œuvre il ne pouvait rien avoir de plus concernant la SHOAH je n’avais pas compris le sens de ce qu’il voulait dire. En effet l’histoire est une matière en mouvement, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, ce qui fait que l’on en apprend tous les jours, que les interprétations d’hier ne sont pas obligatoirement celles d’aujourd’hui, alors que les faits eux, par définition, restent les mêmes.

Sauf que Lanzmann parlait précisément de la SHOAH, et je pense qu’en effet, il a raison.
Raison car son film permet de comprendre les détails, les différents processus, le cheminement qui fut celui des bourreaux et l’état d’esprit des victimes. Ce film devrait être vu dans toutes les écoles, et je pense même qu’au lieu de condamner l’autre ordure de Dieudonné à des peines de prison ou des amendes, il devrait regarder l’intégralité du film à chaque fois qu’il est condamné.
Je crois qu’il y’a en cours un procès contre lui du fait de sa dernière éructation haineuse qui consiste à écrire une chanson qui s’appelle simplement « shoananas »….que dire si ce n’est le mépris qu’inspire cet homme et la dangerosité de ses propos ?

Je m’étais trompé dans l’interprétation que j’avais faite des propos de Lanzmann et m’en excuse platement.
Ce qui me dérange plus est le fait de sortir le génocide du contexte général et d’en faire un fait en soi.  Chaque camp d’extermination ou de concentration, chaque loi anti-juive, chaque processus parmi les milliers qui permirent l’assassinat de 6 millions de personne en un temps record, peut être étudié séparément, et doit  l’être d’ailleurs, mais toujours savoir se replacer dans le contexte global sinon on n’y comprend rien…

L’histoire est mouvante, et la preuve en fut une nouvelle fois faite voilà quelques semaines lorsque furent découverts les carnets intimes d’Alfred Rosenberg. Ce type était le théoricien de l’antisémitisme des nazis. Dans l’histoire on peut découper trois phases concernant l’antisémitisme en Europe. La première fut de dire « vous ne pouvez plus vivre en tant que juif parmi nous », c’est la conversion. La seconde exprima « Vous ne pouvez plus vivre parmi nous », c’est la ghettoïsation. Et enfin la troisième, que les nazis poussèrent à son paroxysme est « vous ne pouvez plus vivre », c’est l’extermination.
Un juif converti peut toujours être juif en cachette. Un banni ou parqué dans un ghetto peut toujours, un jour ou l’autre, revenir. Un mort ne revit jamais.
Pour arriver à cela il fallut des années de propagande antisémite, et cette théorisation idéologique qui allait déboucher sur le plus incroyable meurtre de masse jamais perpétré sur une si courte période est le fait principalement d’Alfred Rosenberg qui fut pendu à Nuremberg en 1946.

Est-ce que la découverte de ses carnets va nous apprendre quelque chose ? On n’en sait rien, mais voilà un exemple de faits qui peuvent remettre en question certaines thèses ou bien en conforter d’autres.
Voilà plus de 20 ans que je cherche à comprendre comment ce fut possible. Je n’ai pas plus compris pourquoi, même si rationnellement je peux y répondre, mais la haine des hommes est sans limite.
Je n’aurais jamais de réponse rationnelle à quelque chose de si irrationnel. Les seuls faits rationnels sont dans la forme, dans le fait qu’au début à Treblinka, qui fut un camp d’extermination pur et dur, ils acceptaient trop de wagons et les cadavres s’amoncelaient provoquant infections, puanteur et incapacité à réguler le flux. Alors des techniciens repensèrent les méthodes, elles furent appliquées et le temps moyen entre la descente du train et la crémation, en passant par la case chambre à gaz, ne dépassait pas une heure. La rampe se déversait directement dans les chambres à gaz.
Il en était de même à Sobibor et à Belzec. Ce dernier étant, je crois, encore plus terrifiant que Treblinka…

Lorsqu’on étudie la SHOAH on réalise qu’il a fallu beaucoup de pragmatisme et d’efficacité pour y arriver. La rigueur allemande dans toute sa splendeur pourrait-on dire, et c’est effectivement le cas.
Les nazis étaient avant tout des fanatiques mais des fanatiques très bien organisés. Et si presque tous les dignitaires étaient des psychopathes, que tous les sadiques du Reich purent donner libre cours à leurs fantasmes, que la folie n’était jamais loin, il y eut pour arriver au résultat que l’on connait, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui travaillèrent en ce sens.
Et ils n’étaient pas tous fous ni fanatiques. La peur est un moteur, la haine en est un aussi, je pense que les deux marchaient à plein durant les 5 années que dura l’extermination planifiée du peuple Juif.

Voilà ce que je voulais présenter pour introduire le sujet qui m’importe aujourd’hui : la Pervitine.
Qu’est-ce que c’est que ça la Pervitine ? C’est le nom donné par les laboratoires pharmaceutiques (je crois que c’est Bayer mais j’ai un doute) à la métamphétamine.

Au cours des années 30 fut synthétisée les premières amphétamines, et donc la fameuse métamphétamine bien connue des junkies de plus de 30 ans. Cette molécule conçue à des fins militaires, donna tellement satisfaction qu’elle fut distribuée à grande échelle et pas uniquement au sein de l’armée.
On voit des publicités de l’époque pour des chocolats à la Pervitine, pour des laits de croissance à la Pervitine, pour tout et n’importe quoi.
Pervitine….le mot est joli, il fait songer à de l’aspirine ou à une vitamine…en aucun cas à de la Metamphétamine !

Qu’est-ce qu’une amphétamine ? En gros c’est une molécule qui va stimuler certains centres du système nerveux et quasiment annihiler toute sensation de sommeil, de fatigue musculaire et physique. Sous amphétamines on pense être surpuissant, comme si on prenait de la coke sauf que ça dure plusieurs heures….rien à voir avec un complément alimentaire.
Les allemands, dans leur logique de destruction mise en place dès 1933, et bien qu’ils ne furent en aucun cas prêts pour l’offensive de Septembre 1939 contre la Pologne, se mirent à l’utiliser et la diffuser non uniquement au sein de l’armée, mais dans toutes les strates de la société.

Je précise que si l’Allemagne n’était pas prête pour la guerre en 39 c’est que le plan d’armement, et notamment concernant l’armée de l’air si chère à l’obèse Göring, était établi pour être prêt à partir de 1941.
Est-ce qu’Hitler prenait lui aussi de la pervitine ? Tout le laisse à penser dès lors car s’il était totalement fou et irrationnel on peut légitimement se dire que même un malade mental peut avoir quelques moments de lucidité, or il alla à l’encontre de toute rationalité en organisant la funeste mise en scène à la frontière Germano-Polonaise dans la nuit du 30 Aout au 1er Septembre et qui servit de prétexte à la Blietzkrieg.

Le documentaire diffusé dernièrement sur Arte et traitant de ce sujet (c’est la raison qui m’a incité à venir y mettre mon grain de sel) nous décrit alors un pays entier sous amphétamines. Insensible à la douleur, au sommeil, totalement exalté et ayant perdu toute raison.
C’est évident que l’usage de cette substance au sein de la Wehrmacht eut des effets évidents,  il me semble un peu rapide de conclure que si le IIIème Reich fut ce qu’il fut cela n’est dû qu’à l’absorption massive de metamphétamines….et personnellement je n’y crois pas un instant.

Tout d’abord parce qu’il est impossible d’abrutir médicalement un peuple de 50 millions d’habitants, et qu’il ne faut quand même pas déconner, avant même l’avènement de ce phénomène ce ne sont pas moins de 4 élections qui portèrent les nazis au pouvoir.
Le peuple était prêt à rogner sur ses libertés, à stigmatiser (avant de les assassiner) les juifs, les malades mentaux, les homosexuels, les communistes, les socialistes, les libéraux, les slaves et tout ce qui n’était ni aryen ni national-socialiste.
Certes il existe des écrits qui relatent quelques cas de conscience, et il y’eut des résistants bien entendu, mais il n’empêche que c’est en toute connaissance de cause que les nazis parvinrent au pouvoir. Ils ne mentirent que sur leur désir de paix, mais le reste était connu, vendu comme tel et accepté par tous.

Alors bien entendu que l’usage des amphétamines eut des effets visibles. Un historien allemand de la médecine stipulait dans le film d’Arte que la Blietzkrieg en Pologne n’aurait jamais été possible sans la dope. Les gars ne dormaient pas, étaient à fond de balle et avaient un besoin de sang évident….les gars étaient camés jusqu’aux yeux, et quelques survivants témoignent en ce sens.
Dans le même temps les américains, eux, synthétisèrent la méthédrine qui est une molécule moins efficace pour le combat et qui se rapproche plus des opiacés en terme d’effets.
Il fallut, néanmoins, quelques mois avant que Churchill n’accepte d’en fournir à ses soldats malgré la pression des instances militaires pour aller dans cette direction.

Il serait tellement simple et limpide de se dire que si les allemands commirent tant d’atrocités, firent preuve de tant de haine autant que de lâcheté, c’est la conséquence d’une nation entière sous l’emprise de la drogue.
C’est certain que ça peut être rassurant mais ça n’est pas la vérité….et c’est ce que je reproche à ce documentaire car, s’il met l’accent sur les amphétamines, il n’apporte pas assez de nuances à mon sens.

La secte des haschischins au XIIème siècle prenaient bien des drogues avant d’aller au combat. Les poilus de 14 ne pouvaient descendre qu’ivres-morts dans les tranchées. Les conducteurs de trains de déportés supportèrent leur travail qu’imbibés de vodka jours et nuits. On donnait des acides aux GI lors du Viêt-Nam etc….les exemples sont légions.
Donc le fait n’est pas nouveau et je pense qu’il a encore cours, du moins je ne vois pas de raison pour que ça ne le soit pas.

Par contre affirmer que la raison principale pour laquelle un peuple éclairé et si brillant qu’était l’Allemagne de la république de Weimar puisse tomber dans les griffes d’un psychopathe acculturé, d’un démagogue de brasserie, d’un raciste enragé et sadique, se trouve dans la consommation excessive de stimulants retirant toute inhibition et tout sens critique c’est aller un peu vite en besogne.

Les drogues permettent d’aller se faire tuer plus facilement, ou de tuer avec plus d’aisance, mais en aucun cas elles permettent sur le long terme de soutenir une politique génocidaire qui s’applique directement sous ses fenêtres.

Je ne fais pas le procès de l’Allemagne entre 1933 et 1945, ça a déjà été fait et par des gens compétents, par contre je tiens à relativiser la portée de l’utilisation de la métamphétamine par la population qui, s’il est vrai qu’elle existait, n’a pas pu avoir l’influence majeure que certains voient comme une évidence.

Je ne conseille à personne de prendre de la MET mais ceux qui connaissent seront, j’imagine, d’accord avec cela.

Sur ce je vous souhaite une belle soirée.

HASTA SIEMPRE CAMARADES

 



18/10/2013
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