Zone libre

Zone libre

La réconciliation

Un proverbe populaire, dont j'ignore l'origine autant que la portée véritable, déclare qu'un humain se doit de faire trois choses dans sa vie pour être en paix avec lui et son environnement. Écrire un livre, faire un enfant et planter un arbre.
Si je ne sais pas toujours trouver le temps que j'estime nécessaire afin d'écrire plus fréquemment, il se trouve que j'arrive néanmoins, plus ou moins écrire a ce qui me plait. Et puis j'ai déjà écrit un livre qui bien que déposé à la SACD attend dans un coffre le jour où ma collaboratrice de l'époque et moi-même nous repencherons dessus. La raison de cet état de fait est justement en rapport avec le second point. Ben ouais, elle s'est retrouvée enceinte au moment où nous étions presque prêts à démarcher des éditeurs, et il est donc normal qu'elle prenne le temps de s'occuper de sa famille, de son amoureux, de son petit bonhomme et d'elle-même...Si tu me lis, prend ton temps Christine, et puis aujourd'hui c'est moi qui suis en passe d'être père.

Aujourd'hui, 18 Mars, débute officiellement le 9ème mois de gestation de ma petite crapule de fils qu'on attend avec tellement d'impatience et d'amour. Le 18 Avril au plus tard il sera là, dans mes bras, à babiller, à pleurer, à rire, à nous rendre heureux !
Donc pour le livre et le bébé je pense que je suis pas mal, pour en revenir au proverbe cité un peu plus haut.
La semaine dernière j'ai planté un arbre. Enfin un arbre, disons une plante. Je n'avais jamais fait ça. Mais surtout je ne l'avais jamais fait là où je l'ai fait ! La pudeur me dicterait de ne pas aborder ce sujet, néanmoins la pudeur est une notion toute subjective et je me dois d'exprimer ici un sentiment incroyable consécutif à, justement, ce que j'ai entrepris de faire dimanche dernier. Je vais tenter de le faire…

Je n'avais, jusqu'à présent, aucune photo de ma petite enfance. Ni des gens qui composaient mon environnement immédiat, ni de moi-même. La raison en est finalement aussi simple que sordide, à savoir que les 3 premières années de ma vie me furent simplement et implacablement niées. Comment peut-on nier l'existence d'un vivant ? Comment est-ce possible ? Et bien c'est assez simple lorsque la « victime » est un enfant…j'emploie à dessein le terme de « victime » ce qui n'est en aucun cas une tentative d'apitoiement de moi-même sur moi-même, mais, je crois, la simple vérité. Aussi nue et crue qu'elle puisse être.
Mon histoire au cours de ces années m'a tout simplement été volée, enfermée et oubliée dans un coin. Comme si j'étais né à 3 ans…c'est terriblement perturbant, il faut bien l'avouer. Dimanche, ma sœur m'a donné des photos de moi au stade de nourrisson, de bébé, puis de petit enfant. Une des photos date d'au-delà de l'année 1978, année de mes 3 ans, les autres sont antérieures ou datent de cette année précise. Une de ces photos, datant de Décembre 1977, montre un petit garçon tout ce qu'il y a de normal. Je porte un chapeau de cow-boy, un holster à la ceinture et un pistolet entre les mains. Un petit garçon quoi ! Même si on peut se dire que 2 ans et demi pour jouer avec un pistolet est un peu jeune, mais je n'en ai gardé aucun traumatisme ni aucun amour des armes à feu, loin s'en faut…je dis ça à l'attention de mon aimée qui par principe est contre qu'un petit garçon « joue » à la guerre ou aux cow-boys, mais j'ai pris du plaisir à ces jeux. Qui ne restent que des jeux, alors je militerai pour que mon fils puisse lui aussi s'amuser à cela sans pour autant craindre pour son équilibre mental.
Le mien d'équilibre fut des plus instables mais la raison est loin d'être en rapport avec le maniement de pistolets en plastique et d'amorces à la douce odeur de poudre.
Sur cette photo je ne souris pas, je ne pleure pas non plus, je suis plutôt calme, sans expression véritable mais rien n'est choquant. Même si la photo n'est pas très nette on ne discerne pas d'anomalie dans mon regard.
Un autre cliché datant de Juillet 1978, un peu plus de 6 mois après la photo « cow-boy », me montre à la campagne, en vacances chez des cousins. Mon cousin, plus jeune que moi, est hilare assis à terre. Un gamin heureux de jouer dans l'herbe. Classique. Moi je me tiens debout à côté de lui, face à l'objectif, en tee-shirt et culotte courte, avec cette coupe de cheveux caractéristique de la première partie de ma vie oscillant entre un Paul Mac Cartney époque « Let it be » et Jim Morrison époque « Père Lachaise ». Je ne souris pas sur cette photo. Je dirais même que pour le coup aucune expression n'émane de mon visage. Si on coupe mon image en-dessous du menton on obtient le corps normal, un peu dodu, d'un petit garçon en devenir, pas encore tout à fait enfant, plus tout à fait bébé. Mignon quoi ! Et puis on remonte sur mon visage. La première chose frappante entre la première image et celle-ci est que j'ai l'impression d'avoir pris 10 ans. Ou à peu près…Je n'ai plus le visage d'un enfant. Pas celui d'un adulte. C'est assez indéfinissable et très choquant.
Mais ce qui frappe le plus sur cette image est la noirceur de mon regard. Ou plutôt le vide absolu qui émane de lui…c'est glaçant. Je fixe l'objectif mais mes yeux sont vagues, sans vie, sans aucune expression. Lorsque j'ai montré la photo à mon cousin, qui sait toute mon histoire parfaitement, il s'est mis à rire jaune en disant que j'aurais été parfait pour jouer dans un de ces films d'horreur où des enfants sont possédés par je ne sais quelque démon ou force maléfique. Je n'osais le dire, mais c'est vrai, je suis simplement terrifiant sur cette putain de photo.
Six mois séparent ces deux clichés, mais surtout entre temps ma mère me fut arrachée. Volée. Sans explications et après plus de deux ans d'agonie. Elle est ici la raison de ce regard perdu, de cette tristesse qui éclabousse cette image où pourtant rien ne s'y prête. Insondable tristesse. Je n'ai pas pour habitude d'être très compréhensif avec moi-même. J'ai même tendance à me culpabiliser à outrance, ce qui, avec le recul, est évident lorsqu'on regarde justement dans le détail ces premières années de vie. Mais là, plus de trente ans après la prise de cette photo, l'image que je vois de moi m'a terrassée de peine. C'est con mais j'ai simplement envie de me prendre dans les bras et de me rassurer, car outre la douleur monumentale qui émane de cette image, de ce regard effrayant, c'est la peur qui ressort juste après lorsqu'on regarde de plus près cet enfant. Cet enfant est triste, cet enfant a peur, cet enfant réclame d'être rassuré, aimé…cet enfant c'est moi et je ne me reconnais pas, par contre je me fais de la peine. C'est très dur comme sensation.

J'ai vu pour la première fois ces images il y a quelques jours, je suis bien certain qu'il en existe d'autres qui sont cachées, planquées, oubliées elles aussi. Car s'ils ont tenté d'effacer ces trois années pour moi, ils l'ont également fait pour eux. Sauf que pour eux c'était plus compliqué car il y avait un avant. Ils avaient connu cette femme, ma mère, vivante et parmi eux. Même ma sœur, mon aînée de 3 ans, a des souvenirs concrets, palpables, matériels de sa maman. Il était impossible de lui retirer ça.
Pour moi aussi, mais ils ont pensé totalement à l'inverse. Remettons les choses dans leur contexte, à cette époque un enfant n'est vraiment conscient que lorsqu'il atteint l'âge de raison comme on dit, à cette époque il ne semble pas aberrant de tenter de me protéger en espérant que je n'aurais pas de souvenir de tout ça…c'est dommage que cette horreur ait eu lieu en 1978, j'aurais économisé certainement de l'énergie et des séances de psy.
Mais on ne refait pas l'histoire, même la sienne…
C'est pourquoi je ne peux leur en vouloir, je sais que tout ce qu'ils ont fait ils l'ont fait pour me protéger. Mais ils ont simplement empêché que je puisse faire mon deuil. En même temps je n'avais pas de mère, et c'est comme si je n'en avais jamais eu, donc je n'avais pas de deuil à effectuer. Logique…
Lorsque je vois la relation qu'entretient déjà Constance avec notre enfant et ce alors qu'il est in utero, lorsque je vois des enfants de six mois, un an, être si dépendant de leur mère, exprimer si naturellement cet amour maternel unique au monde, je suis pris de vertiges en me rejouant le film de ma vie. Il était absolument impossible que je ne saccage pas consciencieusement ma vie après cela ! Mais qui pouvait savoir ? Qui pouvait imaginer ? Qui surtout pouvait saisir ce qui se passait dans la tête d'un petit garçon qui avait vu sa mère agoniser, à qui il n'avait pas pu dire au revoir (Mon oncle et ma tante vinrent me chercher en Janvier 1978 car ma mère était vraiment fatiguée, je la voyais pour la dernière fois. Elle le savait peut-être, moi certainement pas. Mais nous n'avons pas pu nous dire adieu…) et, cerise sur le gâteau, à qui l'on reprochait d'être le responsable de la mort de cette femme ! Si, si je vous assure des adultes apparemment sains d'esprits me prirent à parti m'accusant explicitement d'être responsable du cancer du col de l'utérus qui avait emporté ma mère. Si je n'étais pas né elle ne serait pas morte, voilà ce qu'on me jeta à la figure au début des années 80.
Je n'oublierai jamais cet instant.
Celui qui disait ça, qui pensait ça, était mon grand-père. J'avais tué sa fille. Il me haïrait jusqu'à la fin de ses jours.
Mon père m'a toujours protégé, je le sais, mais sa douleur incommensurable liée à cette culpabilité atroce qui m'habite encore parfois étaient autant de barrières qui empêchaient tout dialogue. Ce grand-père terrassé par la douleur, certes, mais assez monstrueusement sadique et pervers ne s'en prit pas uniquement à moi, il accusa mon père de ne pas avoir fait hospitaliser ma mère dans un autre centre, il accusa son médecin qui se trouve également être mon oncle de n'avoir pas su la soigner, il accusa les oncologues de l'hosto, il accusa….la terre entière ! Jamais il ne s'accusa de quoi que ce soit, du moins en public. Et pourtant…C'est lui qui empêcha ma mère, alors post adolescente, de se faire soigner après deux avortements effectués en Suisse à coup d'aiguilles à tricoter, à l'ancienne. C'est lui qui pour ne pas troubler l'image de ce bourgeois de province chez qui on n'avorte pas, refusa les soins qui certainement quelques années après générèrent cette infection du col qui devint une tumeur et qui tua ma mère. C'est lui qui aurait dû se trouver sur le banc des accusés si tant est qu'il y eut un procès. C'est certainement parce qu'il le savait qu'il hurlait si violemment sa haine envers le reste du monde en général et moi en particulier.

Pourquoi parler de cet homme si peu aimable ? Et bien tout d'abord parce que ma mère l'aimait, j'en ai la preuve écrite. Elle en parlait comme d'un père aimant, attentionné, qu'elle ne voulait pas décevoir. Ensuite parce qu'il a, avant même le décès de sa fille, totalement écrasé sa femme, ma grand-mère, qu'il relégua au rang de figurante de cette vie mal vécue. Ma grand-mère était une juive polonaise qui avait fui les persécutions nazies et étaient arrivée en France sans connaître un mot de français. Elle choisit de nier ses origines, de se convertir au catholicisme, même de changer son prénom !! Elle du certainement être obligée de le faire car sous Pétain obtenir la nationalité française alors qu'on est juif n'était pas vraiment chose aisée, mais l'obligation administrative n'est pas tout. Elle avait carrément « oublié » ce passé. Ce n'est qu'à la fin de sa vie qu'elle m'en parla. Une seule et unique fois en lui faisant la promesse de ne pas en parler à…mon grand-père.
La troisième raison me touche directement.
Au cours de mes visites à ces grands-parents, d'immuables rituels étaient institués. Tout d'abord je dormais dans une chambre où trônait un mausolée à la mémoire de ma mère. Je m'endormais chaque soir face à cette vitrine de verre pleine d'objets ayant appartenus à ma mère, de sa photo (Toujours la même, accrochée partout dans la maison. Détail sordide mais frappant qu'est cette image unique répliquée à l'infini sous tous les formats possibles. Comme une obsession. Elle était d'ailleurs une obsession pour eux…comme pour moi d'ailleurs, mais différemment. Heureusement), de mèches de ses cheveux, de poèmes qu'elle avait écrit…inutile de vous dire à quel point j'étais effrayé par l'idée même d'aller au lit, et les cauchemars qui s'ensuivaient. Il y avait bien une autre chambre mitoyenne de celle-ci, mais je n'avais pas le droit d'y dormir. Ma sœur oui, mais pas moi. L'autre rituel était les visites au cimetière. Le matin, à midi après déjeuner et avant le diner j'étais sommé de me rendre au cimetière en compagnie de mon grand-père, parfois de ma grand-mère et de ma sœur. Cette dernière, plus âgée et moins fautive que moi bien entendu, n'était pas obligée de s'y rendre. Du moins on lui posait la question et naturellement elle n'y allait pas plusieurs fois par jour. A moi on ne posait pas la question, on me trainait là-bas et j'assistais impuissant aux larmes de mon grand-père. C'était long. Interminable. Il y a peu j'ai réussi à établir une métaphore pour exprimer ce que je ressentais. J'étais comme un chien qui a chié sur le tapis et à qui on met la truffe dans sa merde pour lui faire comprendre qu'il n'aurait pas dû. J'étais ce clébard, coupable, forcément coupable.
Les années ont passé et le jour où furent exprimées clairement les velléités d'enlèvement que nourrissait mon grand-père à l'endroit de ma sœur et moi-même, mon père pris la sage décision de nous éloigner de cet endroit, de ces gens. Grand bien lui prit. Alors du jour au lendemain je ne suis plus allé au cimetière.
Ils avaient réussi à me faire détester cette mère dont je n'avais aucun souvenir conscient. Ils avaient réussi à me faire m'éloigner du seul endroit où légitimement je pouvais être en contact avec elle, à savoir sa tombe. De fait je n'ai jamais au cours de ma vie fait la démarche volontaire de me rendre au cimetière. J'y suis retourné lors des enterrements de ma grand-mère et de mon grand-père en 2000 et 2001, car ils sont tous les trois enterrés dans le même caveau. Mais là aussi aucune démarche volontaire, naturelle et une fois de plus j'y étais forcé.

Cette histoire, mon histoire, est d'une violence qui m'impressionne encore aujourd'hui. D'une dureté et d'une tristesse incroyable. Mais de détours en cul de sac, de kilos d'héroïne en litres de whisky, de séjours à l'hôpital en séances de psy j'ai fait un chemin assez colossal et j'ai appris à ne plus me sentir aussi coupable de faits qui me dépassent encore aujourd'hui.
Lorsqu'au mois de Juillet dernier Constance m'annonça qu'elle était enceinte j'ai immédiatement pensé à la tombe de ma mère. J'ai eu pour la première fois de ma vie le désir de m'y rendre. J'en ignorais encore les raisons précises, mais je savais que j'irai.
C'est ce que j'ai fait ce dimanche.

J'ai présenté Constance et ce bébé qu'elle porte avec tant de grâce à ma mère et à ma grand-mère. J'ignorais avant d'y aller quels seraient mes sentiments une fois sur place, et bien je peux aujourd'hui le dire : ça m'a fait du bien. Ça m'a même fait plaisir aussi paradoxalement que ça puisse paraitre. J'étais fier d'aller la voir au bras de celle que j'aime et qui porte notre enfant. Oui, j'étais fier. Et je le suis encore. Je me suis réconcilié avec elle, je crois aussi que je me suis du coup réconcilié de manière durable et sincère avec mon père, et surtout….avec moi-même ! Ce n'est pas rien, croyez-moi.
Alors moi qui n'avais jamais planté quoi que ce soit dans la terre, j'ai pu y mettre la seule et unique plante que j'ai achetée pour elle au cours de ma vie. Au pied de sa tombe, face à elle. Elles seront jolies ces fleurs dans quelques semaines lorsqu'elles célèbreront le printemps. C'était un moment incroyable d'émotion, de douceur et d'amour. Constance fut parfaite. Comme d'habitude…. j'avais vraiment besoin qu'elle soit là.


J'emmènerai certainement mon fils la visiter. Je lui raconterai cette histoire qu'ils m'ont volé mais que je reconstitue petit à petit, que j'essaie d'assembler, simplement parce que c'est vital. Je lui dirai quelle est sa famille, quelle est son histoire à lui, à moi, à cette mère que j'idolâtre sans en savoir vraiment grand-chose. Pourtant je jure de ne jamais l'emmener s'il ne le veut pas. Je jure de tout faire pour qu'il ait la possibilité d'exprimer un refus que j'ai été totalement incapable de faire tant j'étais contrit par l'effroi et la culpabilité. Je fais la promesse solennelle de tout faire pour ne jamais voir dans les yeux de mon fils cette peur abyssale que j'ai pu voir, sur cette horrible photo de l'été 1978, dans mes propres yeux.

Je ne pourrais pas le rendre heureux contre son gré, je ne pourrais pas le protéger de la mort de ceux qu'il aime, qu'il aimera. Mais je sais que jamais, jamais je ne nierai ses sentiments.

Le chemin que j'ai emprunté depuis le jour de ma naissance est tortueux et jonché de cadavres et de souffrance. J'en ai mangé de la merde, j'ai le sentiment que le pire est derrière moi. Alexis, notre enfant, va naître d'ici quelques semaines, quelques jours. Je suis totalement fou amoureux de sa maman à lui, de ma femme à moi. Je suis enfin en paix avec ma mère, mon père et moi.

Tout ne s'est pas réglé en ce dimanche 13 Mars 2011. Mais un grand pas a été fait et si jamais un jour mon fils lit ces lignes, qu'il sache que c'est en partie grâce à lui que j'ai réussi à vaincre ces démons. Je l'en remercie.

J'avais besoin de l'exprimer ici, je vous promets qu'on rattrapera le train de l'actualité très prochainement….car elle n'attend pas, elle !

Et elle est bien chargée en ce moment…il faut bien l'avouer !

Bonne journée et à bientôt...



18/03/2011
2 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres