Zone libre

Soudainement la corne de brume fit résonner sa chaude voix. Elle marquait le départ, les adieux.

Dans ses yeux j'y voyais la peur, l'angoisse et aussi le soulagement de me quitter. J'y ai vu aussi la désespérance de trop de luttes perdues. J'aurais tant aimé y voir un appel au secours.

Une demande d'aide. Mais j'ai vite compris que je ne pourrais rien faire. Que mon amour s'arrêtait là, sur ce putain de quai. Je maudis cette galère qui l'emmène je ne sais où, je maudis la destinée d'avoir réduit en miette une fille si incroyable. Elle me renvoie une image tellement fausse de ce qu'elle est que j'ai peine à croire qu'elle se ressente ainsi, et pourtant…

Ses yeux ne se mouillent même plus, ses larmes semblent s'être perdues au milieu de ce tourbillon qui la tord en tous sens. J'eu préféré qu'elle se batte même maladroitement, même violemment, qu'elle eut besoin de moi.

Je l'ai serré une dernière fois contre moi, et si une part de moi l'attendra toujours je n'ai pas le droit de rester sur le quai…et pourtant j'y suis et je vois cette saloperie de bateau qui l'embarque.

Je l'ai embrassé une dernière fois. Nous avons fait l'amour une dernière fois. J'ai imploré une dernière fois.

Et puis le navire est parti. Dans ses yeux, dans son sourire je ne voyais que chagrin et lassitude.

J'aurais aimé qu'elle saisisse la beauté des choses, qu'elle puisse tordre le coup à ces démons qui la malmènent. Je ne la mérite peut-être pas, mais qu'importe au final, elle mérite ce qu'il y'a de mieux.

Si elle savait ce qu'elle est belle. Si elle savait ce qu'elle est brillante. Si elle savait tout ce qu'elle est, mais jamais elle ne me croit.

Nous ne nous sommes jamais menti. Nous n'avons jamais triché. Pour ça je ne la remercierai jamais assez.

Lors d'une rencontre nous jouons souvent des rôles qui ne nous correspondent pas, qui nous font paraître meilleurs. Jamais nous n'entrâmes dans ces habits mal coupés.

Jamais nous ne trichâmes, et le chagrin de devoir rester à quai me semble inaltérable.

Au cours de ma vie je me suis battu avec moi-même durant tant d'années que j'ai oublié la saveur de la sérénité. Peut-être même que jamais je le ne fut réellement.

Cette rencontre de deux êtres tordus et mal foutus, comme elle et moi, était, soit vouée à l'échec, soit nos fêlures nous souderaient…aujourd'hui ses fêlures sont devenues gouffres, j'ai peur qu'elle y tombe pour ne jamais remonter.

J'étais là, tout près du bord, sa main dans la mienne mais ça n'a pas suffit.

Je n'ai pas suffit.

J'étais de trop et je m'éclipse.

Je ne connais pas l'avenir mais je sais que je serai là.

Si un jour elle a le courage de revenir peut-être pourrons nous soigner nos blessures et en ressortir plus fort…

Mais aujourd'hui c'est le silence qui est mon guide, c'est l'absence qui est mon amie, c'est la peur qui est ma compagne.

Je pense à toi…je ne pense qu'à toi. Ne lâche pas l'affaire, elle est bien plus belle que tu ne peux la voir.

Et je sais très bien ce que c'est de ne pas réussir à voir l'évidence, crois-moi.

Mon amour est plus fort que ça, plus fort que moi, plus fort que toi…