Zone libre

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La curiosité

Ce matin on ne va pas causer politique. Non, n’insistez pas je n’en ai pas envie. Ah j’en entends certains qui se disent : « oui d’accord mais c’est quand même important la politique et tes positions modérées et tolérantes sont un modèle pour nous…franchement en plus quand tu parles d’autre chose c’est chiant ! »

AHhhhhh je me fais marrer, je sais bien que tout le monde s’en fout de ce que j’écris ! Mais je le fais quand même…faudrait que j’en parle avec mon psychiatre.

 

Putain la transition !

J’suis énorme…parce que je voulais débuter par parler d’un monsieur que j’aime beaucoup.

Ce monsieur s’appelle Boris Cyrulnik. Il est écrivain, philosophe et surtout psychiatre !

Et pas n’importe quel psychiatre, le genre de gars que tu pourrais écouter des jours durant et apprendre sans même t’en rendre compte.

Pas le genre de type que t’invites pour une belote où un match de foot, non, faut pas déconner. En même temps un match de foot avec Boris Cyrulnik peut se voir éclairé d’une lumière parfaitement neuve et incongrue…Par contre la belote, faut qu’il sache jouer, parce que c’est sérieux ça, la belote !

 

Bon, donc Boris Cyrulnik…pourquoi ce matin premier jour de ce week-end où les morts sont à la fête, alors qu’il pleut des cordes et que des croissants moelleux et encore tièdes patientent, attendant le réveil de mon amour qui pionce comme une pierre et que j’ai des envies de dessin et de Simpson ? Hein, franchement ?

Ben cette semaine j’ai écouté une longue entrevue entre ce monsieur et un journaliste brillant (je précise, c’est pas si évident que ça) et deux choses m’ont marquées.

La première n’a absolument rien à voir avec la seconde, mais quelle importance ?

Né en 1937 il a vécu la guerre en étant, donc, un jeune enfant juif ce qui le promettait à l’époque à une mort certaine et prochaine. Comme tous les juifs européens à cette époque il y eut des drames. Des pertes, des vies brisées etc.

Le journaliste dans sa question parle alors de « victime ». Comme quoi, en effet les juifs sous l’occupation peuvent être nommés « victimes ».

Cyrulnik le reprend et lui dit « je préfère parler de blessé plutôt que de victime ». La victime subissant les choses sans pouvoir y faire quoi que ce soit et surtout promise le plus certainement du monde à un fin peu agréable et non consentie. Lui, se dit incroyablement blessé par cette période de sa vie mais ne se définit pas comme en étant une victime.

Un blessé, un rescapé.

Ça n’a l’air de rien, mais outre le fait que le sujet me touche très intimement et profondément, j’ai trouvé cette réflexion d’une puissance et d’une finesse incroyable.

Je ne veux pas dire qu’il a raison ou tort. Cela exprime peut-être un besoin chez lui de se protéger en se considérant ainsi ?

Je doute qu’il existe une réponse à claire à cela et heureusement d’ailleurs.

On peut distinguer clairement deux types de comportements chez les juifs rescapés des camps et de l’oppression nazie.

La rage de vaincre et la résignation, l’effacement.

Certains ont été habités par un besoin extraordinaire de se dépasser, de dépasser certainement aussi l’autre, de montrer au monde qu’ils étaient vivants ! Bien vivants et qu’ils faisaient partis de ce monde.

Une autre partie, comme honteuse, voulait s’effacer. Disparaître. Ils avaient tués ce qui définissait leur humanité, alors vivre n’avait pas grand sens.

Ma grand-mère maternelle fut de ceux-là. Elle nia ce qui s’était passé. Ne voulait pas entendre parler des juifs. Elle ne m’en a parlé qu’une seule fois. Cette femme a, je m’en rends réellement compte aujourd’hui, souffert toute sa vie. Varsovie, les nazis, la mort de sa fille (ma mère), puis l’étouffement permanent de son mari…Elle est morte malheureuse, mais je crois qu’elle est née malheureuse !

Au plus fort de l’horreur du ghetto de Varsovie une « blague » circulait : « Merci Dieu d’avoir fait de nous ton peuple élu. Mais, s’il te plait, la prochaine fois ne pourrais-tu pas en choisir un autre ? »

Cette histoire de peuple élu, de devoir souffrir car la vie est souffrance et qu’en tant que peuple élu il est un devoir de souffrir, tout ça me dépasse !! Les deux sœurs de ma grand-mère, paix à leur âme, vivaient en Israël et la première chose qu’elles faisaient le matin en se levant était…de pleurer ! Pleurer une bonne heure, ça te fout une de ces gouaches pour la journée !

Sans déconner…

Bref, donc cette distinction entre victime et blessé m’a troublée. Je me suis dit premièrement que c’est en tant que psychiatre qu’il avait pu construire ce schéma intellectuel que peut-être avez-vous déjà fait, mais moi jamais. Ensuite je me suis dit que bien des psychiatres, en tant que psychiatres, pouvaient dire des conneries. Que la formation de psychiatre est une chose, que l’homme qui incarne cette profession (je trouve le mot réducteur car c’est bien plus que ça, mais je n’en trouve pas d’autre et il nous faut avancer camarades !!) en est une autre.

C’est donc en tant qu’esprit brillant, vif, drôle et pertinent que cet homme a conceptualisé ce fait ?

Je dois avouer que je suis fasciné par les intellectuels. Ils sont capables de mettre en évidence les mécanismes du monde, de rationaliser ce qui nous semble impossible à l’être, ou bien au contraire à faire œuvre d’une telle capacité d’abstraction que s’il est compliqué parfois de les suivre, il n’est jamais inutile de le faire par contre.

(Putain qu’elle est tordue cette phrase…tant pis)

 

La seconde chose qui m’a    frappé lors de cette interview était qu’il disait cette chose « dès 13 ou 14 ans j’ai lu tout Sartre ». Ah oui, me dis-je…quand même, il rigole pas le loustic !

Je me parle beaucoup en écoutant la radio, ça fait parfois peur aux gens autour et je m’en excuse sincèrement.

Il a lu Sartre à 14 ans lui ?

Mais il ajoute sur un ton amusé « …et je n’ai RIEN compris ! Je lisais des mots, mais n’en comprenais absolument pas le sens. Néanmoins ça m’a permis de dire que j’avais lu Sartre. Mais je ne comprenais rien, et je ne suis pas certain que cela serait différent aujourd’hui. »

 

Là, un grand soulagement m’envahit. Ahhhhh quand même ! Tu fais le malin là devant les micros, mais tu te la pètes ! Je suis pas le seul !!

 

J’ai trouvé ces paroles incroyablement intelligentes. Elles ont résonnées en moi comme quelque chose de vraiment familier. Ce besoin de savoir, de connaître. De faire parfois les choses dans le désordre mais cette soif de connaissances inextinguibles qui donne tant de sens à une vie. Je l’entendais dans les mots de cet homme, incroyablement brillant et humble. Qui parlait de sa maladresse.

Moi aussi à 12 ans quand j’ai voulu lire Foucault et son « histoire de la folie à l’âge classique » je n’en travais que dalle. Mais, et là j’insiste, ça n’est évidemment pas pour aller ensuite se gloser d’avoir lu tel ou tel ouvrage. Non, bien sûr que non. C’est personnel, intime, c’est un besoin de goûter au monde, de chercher à le comprendre, de s’y sentir bien.

Tout le monde a ce que l’on appelle une « culture générale ». Même ma concierge, et j’ai énormément de respect pour le métier de concierge, mais j’ai parfois peur en me demandant ce qu’elle aurait fait sous l’occupation. Et puis elle est vraiment con faut dire…

Je sais qu’on est tous le con de quelqu’un, et heureusement. Par exemple à la maison, je suis totalement béat d’admiration face à l’immense culture de Constance, qui parfois me renvoie le même compliment. Mais on a des connaissances différentes, pour la simple raison qu’on est différent.

Il n’est pas certain que Boris Cyrulnik serait devenu psychiatre sans ce qu’il vécut étant enfant.

Il y a des sujets qui nous intéressent plus que d’autres.

Ça c’est une lapalissade…ou une connerie, vous choisissez c’est le cadeau du week-end !

Mais qu’est ce qui fait que l’on enrichit sa culture générale ? C’est simplement la curiosité, l’envie simple de comprendre les choses. Et ça se fait sans aucun effort et surtout avec énormément de plaisir.

L’école est une chose, l’érudition que chaque jour on alimente en est une autre.

Je pense que le salut de l’humanité passe par la connaissance. Avoir lu des livres, être allé au musée, au cinéma. Discuter de tout, de rien, du monde. Avoir des idées, des opinions. Tout cela, à mon avis, éloigne de l’obscurantisme religieux et du dogmatisme politique le plus vil.

La société de consommation a permis aux dominants d’acheter le silence à coups d’IPhone, de TV Plasma 3D, de bidules et de machins.

Alors que nous vivons une époque où la connaissance et accessible à chaque instant, de partout dans le monde, j’ai l’impression qu’elle ne trouve pas suffisamment de récepteur…

 

Peut-être que je me trompe, je ne sais pas, je sens ça comme ça.

Le bonheur n’est pas d’être un esprit brillant, mais je pense que la culture conditionne le bonheur.

 

Mon beau-père, le papa de Constance, est un éminent sociologue connu du monde entier. Un intellectuel de haut vol pour le coup, dont les livres sont d’une complexité incroyable. Mais j’ai énormément d’affection et d’admiration pour lui. D’une part car il est le père de la femme de ma vie ce qui en soi mérite déjà tout ce que je viens d’écrire. Mais d’autre par car il est ce que j’appelle un esprit brillant.

Nous avons eu quelques discussions, et encore pas assez poussées à mon goût, mais j’en ai ressorti ceci :

Sa culture générale, sa connaissance des faits et des mécanismes desquels ils appartiennent est, évidemment, énorme.

C’est un fait.

Mais il a surtout une capacité d’adaptation qui lui permet d’apprendre de la part de gens qui au départ n’ont en apparence rien à lui apprendre. Parfois je sens bien qu’il cherche à vulgariser au maximum ce qu’il va me dire ou me demander en utilisant des mots simples et compréhensibles par tous.

Je ne m’en vexe aucunement. Mais de fait il pourra offrir une réflexion intéressante sur un sujet dont il ne connaît rien ou presque.

Mais son frère qui n’est pas sociologue, mais chimiste ou physicien…enfin chercheur quoi, a le même comportement.

C'est-à-dire qu’il m’est arrivé de parler bande dessinée et dessin animé avec lui. C’est un des esprits les plus curieux qui m’ait été donné de voir.

Ces gens ont entre 60 et 70 ans et sont bien plus curieux que pas mal de jeunes crétins de 20 ans ! hmmm pardon je m’emporte.

 

Un enfant peut être curieux de nature, mais il est important selon moi de lui permettre de l’être.

De l’encourager à l’être même !

 

Quand je vois le niveau des cours de prépa à l’ENM (Ecole Nationale de la Magistrature) dans la matière « Culture générale », je prends peur.

Internet permet de presque tout connaître. Même sans lire on peut assouvir sa curiosité.

Et la curiosité mène à la connaissance qui elle-même permet d’affiner ses réflexions, sa compréhension du monde. Tout ça n’est pas abstrait, pas du tout, chacun de nos actes est le résultat d’une décision que l’on a prise. Et cette décision est le fruit d’une réflexion que l’on peut mener plus ou moins bien.

Le choix de la chaîne de télévision n’est pas si anodin. Et regarder une connerie en le sachant et en ayant pris le recul nécessaire, mais parce qu’à ce moment précis on a besoin de débrancher son cerveau, n’est pas néfaste. Au contraire je dirais. A mon avis tout est bon à prendre.

 

Bon, ben je vais pas traîner moi, je conclurais simplement en disant qu’il est important d’être curieux. Qu’il ne faut pas avoir une quelconque honte ou gêne face à un monument de culture. Il faut savoir que s’il est intelligent (totalement différent de « cultivé ») vous pourrez avoir un échangé bénéfique pour les deux.

Vous serez « win-win », expression incroyablement à la mode et utilisée ce temps-ci.

 

Je vais dessiner un peu avant de bosser, mais j’ai vu qu’il y’avait quelques livres de Sartre dans la bibliothèque…ça m’a tracassé quand même ce qu’a dit Cyrulnik à ce sujet. P’tet m’en lire que je ne n’ai jamais lu, ou relire justement un de ceux que j’ai lu, juste pour voir…je vous dirais si j’ai compris.

 

En vous souhaitant un plaisant week-end des morts. Week-end qui comme pour honorer le concept reste le plus meurtrier de l’année. Chiffres de la sécurité routière à l’appui.

Alors comme disait Coluche « Faisez-pas les cons ! »

 

HASTA SIEMPRE…la prochaine fois on parlera de…heu…j’en sais rien en fait ! On verra !

Ciao.



30/10/2010
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