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Et la couleur fut !

En France on aime les débats. On se délecte des polémiques. On adore les affrontements d’idées ! On dit ça de la France, mais nous n’en avons certainement pas l’apanage, il faut dire qu’on aime surtout la singularité ici. C’est notre égotisme qui parle, et il la ramène souvent il faut quand même bien l’admettre.
Est-ce parce que je baigne dans cette culture depuis ma naissance que moi aussi j’aime le débat d’idées ? J’imagine que non, que si j’avais été Belge, Togolais ou Moldave il en aurait été de même. Quoique Moldave j’ai un doute…Il est certain que ce goût pour la polémique n’est en rien inscrit dans une quelconque culture populaire, mais on aime bien se le dire, on aime bien se dire que si on agit ainsi c’est parce que nos racines nous y emmènent, que notre culture nous le dicte. C’est assez navrant comme axe de réflexion, mais bon…que voulez-vous ? On ne va refaire l’éducation de 60 Millions de personnes ! Certains l’ont tenté en des temps plus anciens dans des contrées plus lointaines par le biais de méthodes plus….comment dire….méthodiques ?

Il se trouve qu’il suffit de peu pour que naisse une polémique dans notre beau et vert pays ! Parfois drôles, souvent pathétiques, rarement constructives, les dites polémiques nous occupent. C’est déjà pas mal. S’il m’arrive de me délecter de certaines, il est quand même plus courant que je ne m’en préoccupe guère…sauf dans certains cas. Et, mais vous l’aurez certainement supputé, c’est le cas aujourd’hui !
Voilà quelques années est sortie une série documentaire intitulée « Apocalypse » et ayant pour sujet la seconde guerre mondiale. Vaste projet qui eut tout mon soutien à l’époque et qui avait l’immense intérêt, à mes yeux, de ne pas se contenter de narrer les évènements qui eurent lieu en Europe mais également dans le pacifique, l’océan Indien et la mer de Chine. C’est assez rare pour être souligné.
Seulement voilà, ce qui fit polémique à l’époque me semblait être un débat de pure forme. En effet les vidéos, archives de l’époque dont un certain nombre étaient inédites, étaient en couleur. Non pas colorisées comme on peut le croire mais bel et bien mises en couleur…quelle différence ? Ben c’est assez simple, la colorisation consiste à appliquer des couleurs, comme si l’on prenait des crayons de couleur et qu’on barbouillait la pellicule. Alors que la remise en couleur (j’ignore le terme exact et ça n’a pas d’intérêt) consiste, quant à elle, à analyser les niveaux de gris, de noirs et de blancs afin de recalculer les couleurs originelles. Numériquement une couleur peut être codée de différentes manières, mais on va dire que chaque couleur a un numéro. Il suffit de prendre un plan où est filmé le ciel bleu au-dessus de Berlin, de récupérer la valeur du gris qui correspond au bleu, d’aller avec une caméra numérique au-dessus de Berlin aujourd’hui, on va supposer que le bleu du ciel n’a pas beaucoup varié en 80 ans, et de filmer le même ciel. Ensuite on peut dire que la valeur X du ciel gris est équivalente à la valeur Y du ciel bleu et le tour est joué. On peut alors récupérer les véritables couleurs du film. Ces couleurs semblant un peu passées, du moins très pastelles, s’expliquent par le fait que les caméras de l’époque étaient moins précises, ainsi que par le fait que les films se sont forcément dégradés au cours du temps.
Quand j’écoutais le producteur défendre son projet et le fait qu’il n’avait pas « colorisé » mais « remis en couleurs » sans vraiment convaincre son auditoire, je pestais derrière mon poste de radio en me disant qu’on aurait quand même pu lui faire une rapide formation afin qu’il puisse expliquer clairement la différence des deux procédés….mais peu importe.

Donc on avait pour la première fois des images en couleur de la seconde guerre mondiale. Certes, mais encore ? Quel intérêt ? Quelle valeur ajoutée ? A priori pas des masses….A priori seulement.
Les esprits chagrins, dont je faisais partie au début, arguèrent que ça sentait le racolage tout ça, et que la vérité historique n’en avait que faire de la couleur ou du noir et blanc. Et puis depuis toujours on regarde ces vidéos et ces photos en noir et blanc, alors franchement à part attirer la jeunesse ça n’offre aucun intérêt !

Et bien je me trompais. Car d’une part attirer la jeunesse, donc, a un véritable intérêt. Il faut dire qu’il est parfois compliqué de faire venir les adolescents à la culture. Ces sous-adultes boutonneux et libidineux. A la voix éraillée de castrat de seconde zone et dont le cerveau embrumé me navre chaque jour de sa vacuité ! Ouais je n’aime pas trop les adolescents, je les trouve généralement laids et effroyablement cons !!! M’enfin, il faut bien qu’ils en passent par ce stade les pauvres gosses. Donc réussir à les intéresser à la seconde guerre mondiale n’est pas si anodin que ça, assurément pas.
D’autre part voir ces images sous ce format ajoute quelque chose de vivant, de vrai, un pont entre l’histoire et l’actualité se dresse, et c’est extrêmement troublant. Ça n’est pas de voir que le sang était aussi rouge qu’aujourd’hui qui est déstabilisant, mais c’est plutôt que le voile d’immatérialité que pose invariablement le noir et blanc s’estompe instantanément.
Tu veux filmer un rêve ? Un conte ? Un poème ? Tu choisiras un traitement ultra-stylisé de la couleur et de la lumière ou bien tu feras du noir et blanc. Ça marche à tous les coups. Et bien les images d’archives de la guerre en noir et blanc offrent quelque chose d’irréel, c’est cette réalité qui subitement prend toute son ampleur dès lors que la couleur est là !

Apocalypse – La seconde guerre mondiale fut un succès planétaire totalement justifié. Shoah de Claude Lanzmann ou bien De Nuremberg à Nuremberg de Frédéric Rossif se retrouvent subitement et naturellement complémentaires  de ce film. Et il n’est pas de mots assez forts pour exprimer mon admiration pour messieurs Lanzmann et Rossif ! Le débat autour de la couleur passé, il me semblait que les arguments ci-dessus avaient été entendus et admis par le plus grand nombre.

Et bien je me plantais !

Voilà quelques semaines en zappant de chaine en chaine tel un cabri épileptique à la recherche du dernier edelweiss de la vallée, je suis tombé sur un teaser de France 2. Cette bande-annonce racontait que bientôt sur France 2 allait être diffusé Apocalypse – Hitler ! Nom de dieu, me dis-je en mon fort intérieur, mais c’est quand ce truc !! A ne rater sous aucun prétexte. On y voit un Adolf Hitler au moment de sa prise de pouvoir en 1933, conquérant, arrogant et tellement effrayant ! Mais le plus troublant est qu’il est en couleur. Il existe peu de vidéos d’Hitler dans lesquelles il ne hurle pas. Je n’ai d’ailleurs pas souvenir de ça. J’ai entendu des documents sonores dans lesquels il parle, certes agressivement (aussi étonnant que cela puisse paraitre il pouvait ne pas l’être. Enfin ne pas le montrer en tout cas), mais il parle. Il ne gueule pas comme le porc qu’il était. Et il est encore moins courant de le voir en couleur. On le voyait certes dans les premiers volets de la série, de facto, mais là on a le teaser d’un documentaire ayant pour unique sujet le monstre parmi les monstres : Adolf Hitler !
Et bien ça n’a pas manqué, avant même que ne soit diffusé le documentaire la polémique enflait. On accusait la production de ne rien faire d’autre que du racolage à destination du jeune public inconséquent et inattentif formé par ces hordes d’adolescents dont je ne dirais plus de mal jusqu’à la fin de cet article, c’est promis.
Un autre argument avancé par les pourfendeurs du documentaire était que tout ça était fait pour faire peur ! Comme si on avait monté un film d’horreur….argument lu, entre autre, dans Libé, journal que je continue à acheter mais jusqu’à quand ?
J’ai vu le documentaire, et je vous invite à le faire si jamais ça n’est pas le cas, il est encore disponible ici : http://www.pluzz.fr/apocalypse-hitler-2011-10-25-20h35.html , car avant de venir moi aussi mettre mon grain de sel dans le débat il fallait quand même que je sache de quoi il en retournait.

Tout d’abord je dois admettre que je n’ai rien appris en visionnant ce film. Je peux même déplorer qu’un certain nombre de raccourcis fussent empruntés, et en cela je peux rejoindre en partie le point de vue développé dans la critique de Libération qui reproche au film de trouver une cause pour toutes les actions entreprises par le démoniaque dirigeant allemand. En effet son inhumanité est expliquée par son expérience dans les tranchées entre 1914 et 1918, son antisémitisme est expliqué en filigrane par les vendeurs d’art (Juifs, forcément juifs) Viennois qui lui refusèrent ces toiles, son darwinisme social acharné et délirant par sa vie de bohème lorsqu’il crevait de faim dans les foyers de son épisode Viennois etc. Le format du film étant une telle contrainte il n’est pas possible de ne pas faire d’impasse, néanmoins j’aurais aimé que certains aspects soient plus fouillés, et il n’est pas infâmant de ne pas trouver d’explication à tout. Cet homme était avant tout un malade mental, de fait il est parfois impossible de rationnaliser quelque chose qui, par essence, ne peut l’être.
Par contre j’ai été subjugué par certaines archives absolument déroutantes et, on y arrive, par le fait de voir ces archives….en couleur !
Je ne suis plus adolescent depuis longtemps, les livres et les films sur le nazisme ont peuplés mon adolescence pour le coup, et je me pense parfois immunisé contre l’émotion que le sujet suscite. Et bien j’ai été bouleversé par voir ça en couleur.
J’ai pris une sacrée claque en voyant des images connues d’un Hitler attendant que la foule se calme pour la haranguer de nouveau, de même que voir les réunions hallucinantes des nazis en couleur, où le drapeau à la svastika revêtait son rouge purpurin et originel. Les couleurs du drapeau ont un sens, le noir pour le parti nazi, le blanc pour le nationalisme et le rouge pour le côté social de l’idéologie, ce n’est pas moi qui le dit, c’est ainsi. D’un coup ces images qui peuplent mes cauchemars et hantent mes nuits devenaient réelles. Cette réalité qu’on a bien du mal à concevoir concernant cette abomination que fut le IIIème Reich.
Lorsque René Clément décida de tourner Paris brûle-t-il ? en 1966, il opta au départ pour la couleur. Or lorsqu’il demanda à la mairie de Paris la permission de hisser un drapeau nazi sur le fronton de l’hôtel de ville on ne l’y autorisa que s’il était en noir et blanc. Il est vrai qu’on peut aisément craindre les réactions des parisiens se réveillant et voyant un tel drapeau flotter au-dessus de leurs têtes ! Cette anecdote à elle-seule est un plaidoyer en faveur de cette démarche de rendre sa couleur au film. En effet elle dit bien la distance mécaniquement créée entre l’évènement et le spectateur dès lors que le spectacle est en noir et blanc.
J’ai donc trouvé cette polémique sur le fait qu’il fallait laisser les images en noir et blanc bien absurde. D’autant plus qu’une des questions que pose le documentaire est « Est-ce qu’un nouvel Hitler est possible ? ». Répondre à la question demanderait un article entier et nous ne nous y attèlerons pas aujourd’hui, mais il est évident que la mise en couleur des films a pour effet de remettre ces images dans notre réalité. Or en ces temps troublés où les similitudes avec les années 30 se font chaque jour un peu plus nombreuses, il est indispensable que ce devoir de mémoire soit perpétré.

Il n’est jamais vain de rappeler ce qui s’est passé. Il est même indispensable que des piqures de rappel soient régulièrement administrées.
Pour cela, et même si le film a des défauts, le tour de force qui consista à remettre en couleur l’ensemble des archives est un atout considérable.

Dans mon sommeil, la nuit dernière, je me suis retrouvé sur un mur et je ne voyais qu’une morne plaine au ciel gris et triste. J’entendais néanmoins des aboiements humains, j’opérais une rotation sur moi-même et plongeait mon regard derrière le mur d’enceinte au-dessus duquel je trônais. C’est alors que je vis une file d’attente interminable d’hommes, de femmes, d’enfants, de bébés…tous en train de marcher à tout petit pas la tête basse en direction d’une chambre à gaz.
Ce sont les pleurs de mon bébé qui me réveillèrent. Quel horrible cauchemar. Quelle atroce vision…aurait-elle été moins violente en noir et blanc ?
D’aucun me diront que noir et blanc ou couleur c’est la même chose. Mais moi je sais que ça a un sens, je sais que ça ne veut pas dire la même chose.

Je sais également que l’on peut tout remettre en question mais absolument pas que les nazis furent les fanatiques les plus terrifiants que la terre ait portée, alors s’ils sont plus effrayants en couleur tant mieux !

Ce documentaire a également ceci de traumatisant que durant 2 heures pleines on ne voit qu’un homme…et cet homme est peut-être la pire incarnation du mal absolu. Voir ça et le supporter est pour le moins traumatisant.

Alors je tiens à féliciter chaleureusement madame Isabelle Clarke (réalisatrice) et monsieur Daniel Costelle (Producteur) pour cette œuvre monumentale bien qu’imparfaite à mes yeux. Et bravo pour être allé au bout de cette idée que la couleur n’est pas qu’un gadget.

HASTA SIEMPRE



31/10/2011
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