Zone libre

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Equilibre instable

Souvent lorsque l'on me pose la question suivante : « Et toi, tu fais quoi dans la vie ? », je ne sais trop quoi répondre.

 

Selon mes interlocuteurs je vais demander une précision, ou bien amener une réponse sans appel ou presque.

J'aime répondre une connerie du style « Dans la vie ? Et bien je fais des lessives, parfois je prends des douches. Il m'arrive également de manger des trucs… » (Là encore selon la personne je peux remplacer le « verbe » manger par « chier », mais évitons de sombrer dans une vulgaire scatologie de bas étage, je vous en prie !).

 

Cette réponse est faite pour les gens que j'aime placer dans une catégorie que j'estime un peu plus que les autres, à savoir celle des gens que je pense suffisamment intelligents pour avoir de l'humour, du recul et qui comprenne que finalement leur question posée ainsi n'a pas beaucoup de sens.

 

Je l'ai déjà dit, mais j'aime créer des catégories et y mettre les gens. A savoir que rien n'est figé, mais rarement les cons remontent dans les étages supérieurs. Par contre on peut, vite fait, glisser dans la mare aux crétins !

 

Sinon la réponse sans appel consiste à dire ce que je vois chaque mois en haut à gauche sur ma fiche de paie…Sexy non ?

Il va de soi que cette réponse est offerte à ceux qui ne m'inspirent pas confiance et avec qui je n'ai pas spécialement envie de converser.

 

Vous voilà donc au courant que chaque mois je reçois un salaire. Par les temps qui courent j'ai comme l'impression qu'on est de moins en moins.

Toutefois un ange gardien doit veiller quelque part sur moi car je n'ai jamais connu les affres d'un quelconque licenciement ni même d'une période sans emploi. Voilà 12 ans environ que j'ai terminé mes études et j'ai toujours bossé. Ça n'est en soi pas un exploit du tout, mais je réalise que j'ai eu finalement pas mal de chance.

 

Car même à la période la plus noire, celle qui a vu votre serviteur passer plus de temps dans les hôpitaux et les cabinets des psychiatres qu'au travail, mon boss m'a toujours soutenu et a fait montre d'une patience et d'une humanité incroyable.

Donc une bonne décennie sur le marché du travail, et une bonne décennie à trimer.

En même temps je ne suis pas non plus au fond d'une mine en train de pousser des wagonnets, par exemple j'écris ces lignes depuis mon bureau en pleine semaine à 13 heures avec un bon vieux disque de Johnny Cash à fond les ballons ! Y'a pire comme conditions de travail.

Depuis toujours j'ai du remplir un besoin de création. Que ça soit de la musique, des textes divers, de la poésie ou des dessins. Durant de nombreuses années j'ai eu du mal à vivre avec ce dilemme qui est de dénoncer un monde dans lequel je n'étais pas à l'aise et en même temps d'y participer plus qu'activement !

Néanmoins je bosse dans le divertissement qui, même s'il est d'une rare bêtise parfois, n'en reste pas moins encore emprunt de cette culture des « saltimbanques » qui fait que se mêlent le plaisir, le travail, les amitiés et parfois (souvent) la défonce.

C'est perturbant pour certains, mais je n'ai connu que ce milieu et n'ai jamais mis une cravate pour aller au boulot, donc pour moi c'est plutôt normal.

 

Mais en fait ça n'est pas spécifiquement de ça dont je voulais parler aujourd'hui. Car en terme de dilemmes de vie j'en ai quelques uns à exposer, certains aberrants, d'autres drôles, les derniers parfois pathétiques…mais nous verrons ça un autre jour si vous le voulez bien.

 

Non ce qui m'interpelle est une discussion que j'ai eu hier midi avec les gens qui partagent mes tâches depuis 8 ans maintenant. On a fait grandir cette boîte, on s'est fait une place dans ce milieu affreusement inhumain qu'est le microcosme de la télévision. On a fait des sacrifices dans nos vies, des choix qui furent parfois douloureux, on a vu des gens passer et ne pas pouvoir rester car le rythme, les horaires et le sens des choses étant parfois assez abscons pour le néophyte.

Toutefois ce qui m'a fait rester est justement l'humanité et l'envie d'égalité avec lesquelles mon boss a organisé sa boite. Un îlot d'humanité au milieu d'un océan de cynisme rempli de requins aux sourires carnassiers, voilà comment je pourrais définir mon environnement de travail.

Comme j'ai dit plus haut, ça n'est pas le bagne.

 

Il se trouve que de tous ces gens qui y ont passés pour certains quelques mois voire semaines, pour d'autres quelques années, le rapport au travail et le respect des règles du jeu furent étonnamment différent selon les personnes.

 

Personne n'est attaché à son siège ça va de soi, mais pour qu'un système fonctionne il faut savoir respecter les règles du système en question.

Je sais que pour un amoureux de l'anarchie dans mon genre ça fait tâche d'écrire ça mais j'ai beaucoup réfléchi au problème.

Même dans les squats de junkies il y'a des règles à respecter. Même dans les systèmes les plus libertaires qui soient, des règles parfois implicites mais bien réelles existent et le système ne tourne que si le minimum est respecté…CQFD

 

Remarquez, en disant ça je ne fais qu'énoncer une lapalissade. Qui dit système, dit acteurs ou participants, dit relations, dit rapports de force, de soumission etc…

 

Mais revenons au sujet du jour. Le système de protection sociale et d'encadrement du travail en France est un modèle du genre. En effet il a été pensé et conçu en plaçant la solidarité au cœur des préoccupations.

Cette particularité est, selon moi, une excellente chose.

Sans rentrer dans le détail le conseil national de la résistance, coalition de gaullistes et de communistes qui posèrent les bases du système social français, nous a légué nombre de principes qu'il serait bon parfois de se rappeler. Quitte même à reprendre les choses dès le début, par les bases en quelque sorte.

 

Il y'a quelques années les hommes et femmes politiques français louaient les systèmes de solidarité sociale des pays scandinaves et se demandaient s'il n'était pas transposable tel quel à notre pays. La réponse est à mon avis négative. On ne peut appliquer à un pays de 65 millions d'habitants ce que l'on fait dans un pays ou ne vivent que 3 millions de personnes. Et puis les industries elles-mêmes diffèrent, donc les modèles économiques également.

D'autres modèles de sociétés sont en place dans nos beaux et riches pays occidentaux. Depuis les années Reagan / Thatcher, le terme d'ultralibéralisme débridé a pris sa vraie dimension et l'on en voit aujourd'hui les dégâts terribles que cela provoque au sein des populations de pays comme la Grande-Bretagne ou les USA.

Tout ça mériterait un vrai débat et si l'on veut comparer les systèmes ça demande un peu plus de travail que ce que je produis ce jour.

Car si je parle des autres systèmes et environnements sociaux des pays riches c'est uniquement pour signaler que le notre n'est pas si mauvais que ça au départ. Et ce bien que la droite libérale et Sarkozyenne s'échine à le réduire à sa portion congrue et à le vider de tout ce qui pourrait rappeler l'un des idéaux du CNR : LA SOLIDARITÉ !

 

Or la solidarité n'est pas un vain mot. Le principe étant que l'argent mutualisé par les caisses d'assurance chômage permet d'indemniser ceux qui en ont réellement besoin, qui ont subi un accident de vie, de parcours.

Il m'est déjà arrivé au cours de ma vie professionnelle d'avoir envie de changer d'air ou bien tellement besoin de repos que l'idée de pouvoir me faire licencier afin de profiter quelques temps d'un chômage que je pensais (à tort) mérité m'a traversé l'esprit. Je l'avoue, non sans une certaine honte, une fois un peu de recul pris.

Toutefois si j'y ai pensé jamais je n'ai fait de démarche dans ce sens. Il y'a peu j'en discutais avec ma douce qui est toujours de bon conseil (si, si je t'assure et tu le sais d'ailleurs…) qui s'est offusqué que pareille idée puisse m'effleurer. Elle avait entièrement raison.

 

Alors pour me défendre j'ai argué que depuis 12 ans je n'ai jamais levé le pied et que la fatigue et la lassitude pousse parfois l'esprit vers des contrées peu recommandables, blablabla, blablabla...

 

Il y'a quelques mois de cela, un développeur de mon équipe tout frais émoulu au sortir de l'école, plein de vigueur et d'insouciance propre à son jeune âge décida du jour au lendemain de ne plus venir travailler. Sans nous donner la moindre raison il a passé un an et demi à envoyer tous les mois un certificat médical ce qui lui permettait de toucher son salaire et de se soigner. Sur le principe rien à redire au contraire, j'estime qu'une société ou il est possible de se reposer ou se soigner sans perdre ses acquis sociaux et sans perte de revenus est une société qui ne marche pas complètement sur la tête. Sur le papier ça devrait faire baisser la vente d'anxiolytiques et d'anti-dépresseurs néanmoins la France étant une terre de paradoxes il se trouve que nous sommes les plus gros consommateurs de petites pilules de bonheur au monde. Mais bon, ça n'a pas d'importance et revenons à nos moutons. Donc voilà notre salarié pris en charge par la sécurité sociale. Au bout d'un an et demi, vu que le poste était bloqué et que nous étions tenus (ce qui est tout à fait normal) de lui garder sa place au chaud dans le cas où il déciderait de revenir, nous décidâmes d'aller aux nouvelles. Il ne répondait plus, n'allait pas chercher ses courriers recommandés, il fut donc décidé en conformité totale avec la loi, de licencier cette personne. Je ne suis pas décisionnaire dans ce genre de cas, mais dans la mesure ou il ne jouait pas le jeu, cela ne m'a pas semblé malhonnête. Mais une fois la procédure appliquée, voilà qu'il attaque la boite aux prud'hommes pour licenciement abusif. Pour le coup l'abus ne vient pas de la société si vous voulez mon avis…Au bout du compte et après quelques vérifications il se trouve qu'il n'était pas malade, que suite à un chagrin d'amour il décida qu'après avoir travaillé en tout et pour tout 6 mois dans sa vie il pouvait profiter du système.

Et c'est là ou je veux en venir.

Ces presque deux années d'indemnisation absolument injustifiées ont forcément un coût. Dans le cas où la personne concernée a réellement besoin de faire un break, quelle qu'en soit la raison, cette indemnisation est un gain pour la société, dans le cas d'un abus aussi flagrant c'est un coût.

 

Voilà quelques semaines un de mes techniciens, lui aussi bien jeune et dont c'est le premier job, décida lui aussi de se mettre au vert. Mais au lieu d'assumer son choix il a demandé à se faire licencier afin de s'offrir quelques mois de vacances aux frais de la société alors que rien d'autre qu'un besoin de repos ne le justifiait. Alors en toute logique mon boss a refusé de jouer à ce jeu sans réelle raison.

 

En jouant avec les convictions politiques de droite et de gauche j'arrive à la conclusion suivante. Si le gars est de droite, il ne peut demander ce genre de choses si l'on est logique, car son idéologie est de lutter contre les abus et même qu'au fond de lui il voudrait bien que disparaissent la solidarité et l'assurance chômage. Et puis il porte aux nues cette sacro-sainte valeur « travail » si chère à la droite…S'il est de gauche, il ne peut demander ce genre d'arrangement car il sait qu'il lèse une personne qui en a réellement besoin, et donc n'a pas compris ce que le terme solidarité signifie.

 

Je ne suis en aucun cas un défenseur acharné du travail, mais plus j'avance et moins je n'approuve ces abus. Pour la simple raison que ce système est un bon système, que les attaques de la droite sont déjà suffisamment dures à repousser et à contrer que ces fraudes additionnées à l'échelle d'un pays et bien c'est le système lui-même qui est attaqué, de l'intérieur. C'est apporter de l'eau au moulin des libéraux qui décrètent que le trou de la sécurité sociale est une plaie pour l'équilibre budgétaire. Ce qui est bien évidemment faux, mais il est tellement facile de dire tout et son contraire dès qu'il s'agit d'économie que je ne me lancerai pas dans une autre explication alambiquée et tordue.

 

Lorsque TF1 ou France Télévisions emploie la quasi-totalité de ses travailleurs par le biais de contrats d'intermittents du spectacle c'est tout le système d'indemnisation des artistes qui est remis en question, et la réforme de l'UNEDIC qui est née il y'a peu fait que les forts sont aidés et les faibles éliminés. Les artistes créateurs étant les premiers perdants de ce jeu pervers et étonnement connu de tous.

 

Etre indemnisé lorsque l'on perd son emploi est totalement normal, ça ne l'est en rien dès lors que l'on est en pleine possession de ses moyens et que l'on choisit de profiter du système.

 

Alors si on pouvait ajouter quelques heures d'instruction civiques dans les études secondaires peut-être que certains étudiants d'aujourd'hui auront un peu plus conscience de ce que tout cela signifie, de ce que le terme solidarité signifie et que tout système répond à des règles. Si l'on en fait partie on ne peut l'ignorer. Sortir du système est un choix tout à fait louable et je dirais même poétique, mais cela ne peut pas se faire au détriment de ceux qui sont dans la merde.

 

Demain on parlera peut-être de l'impôt…autre grand sujet de dilemme idéologique pour un pan de la population qui se dit de « gauche » mais se demande comment payer moins d'impôts.

 

Mais comme il me faut conclure je dirais simplement que la lutte ne se mènera pas à moitié. Mais on peut déjà commencer en protégeant des acquis normaux que les libéraux veulent faire passer pour aberrants, et profiter du système ne fait rien d'autre qu'aider la droite. C'est paradoxal à priori mais, comme j'ai tenté de l'exprimer ici, pas tant que ça.

 

HASTA SIEMPRE et BON WEEK-END



22/01/2010
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