Zone libre

Comme personne ne me demande mon avis je vais donc le donner. Je vais tenter d'être concis et le plus précis possible : je soutiens l'intervention militaire en cours en Libye. Au moins c'est clair et ça ne prête à aucune interprétation. Il y a plusieurs manières d'aborder la chose, je vais donc tenter d'expliciter la mienne.
Hier soir étaient invités sur le plateau de « Ce soir ou jamais », Michel Collon et Rony Braumann.  Le premier est un journaliste belge indépendant farouchement anti-impérialiste, anti-israélien et antisystème comme il se définit lui-même. Le second est le co-fondateur de Médecins du monde (l'autre étant Bernard Kouchner), homme de gauche et humaniste à n'en pas douter. Pour des raisons différentes ils sont totalement opposés à la guerre en Libye. J'entends leurs arguments respectifs, mais je ne suis pas d'accord avec tous, loin de là.

Collon est un personnage plutôt trouble. A l'instar d'un type comme Thierry Messian (le fondateur et l'animateur principal du « réseau Voltaire »), il crie un peu trop souvent et un peu trop fort au complot. Le problème des théoriciens du complot est leur ambiguïté manifeste car qui entend complot sous-entend souvent complot judéo-maçonnique. Et ça je ne peux l'accepter. Cette rhétorique malsaine aux relents d'antisémitisme n'est acceptable par personne et a souvent, au cours de l'histoire, provoqué un nombre non négligeable de dégâts au sein de nos sociétés. On ne peut pas tout dire sous prétexte de fustiger la politique colonialiste et raciste du gouvernement Israélien. Lorsque la sphère médiatique met à la marge Thierry Messian ce dernier a beau jeu de dire « Vous voyez bien que les média dominants font la pluie et le beau temps, je ne suis rien de moins que victime de censure ». C'est parce qu'il dit la vérité que la dite vérité est étouffée ? C'est parce qu'il a raison qu'il est censuré ? Mais alors nous sommes donc absolument tous sous la coupe d'une sorte de caste dirigeante, qui non seulement nous exploite (rhétorique anticapitaliste de base) mais surtout nous ment (rhétorique du complot) ? Il n'y aurait donc que Messian, Dieudonné ou Collon qui savent les vraies choses…le reste des journalistes, intellectuels, dirigeants, citoyens n'est donc qu'un magma informe de cerveaux primaires totalement manipulés par le pouvoir.

J'ai longtemps été plutôt d'accord avec Collon, du moins avec son approche qui consiste à ne pas gober béatement la bouillie médiatique qui chaque jour nous est servie. Il est, en effet, toujours intéressant de pouvoir compter sur quelques avis contraires à la majorité, comme une sorte de contre-pouvoir, ou a minima un stimulus qui nous empêche de nous endormir. Dans l'esprit je suis pour ça. Seulement voilà, à force de hurler au complot, au « media-mensonge », à voir des mensonges partout on finit par ne plus être audible. Et c'est, à mon avis, ce qui est en train d'arriver à Michel Collon. L'autre gros problème que je vois avec tous ces théoriciens du complot, est celui de ne pas réussir à  dé corréler leur discours d'un certain antisémitisme atavique des plus vicieux. Et là je vais poser une question très con mais à laquelle je n'ai aucune réponse satisfaisante. Comment se fait-il que des gens, au demeurant, brillants et sains d'esprits, fassent systématiquement l'amalgame entre le pays d'Israël, la politique du gouvernement Israélien et les Juifs ? Je ne puis croire qu'ils ne réalisent pas ce qu'ils font, je me dis dès lors qu'ils manipulent à leur tour l'opinion. On ne peut pas crier au complot, à la manipulation et soi-même mentir ….enfin ça ne me semble pas vraiment possible.

Je suis personnellement farouchement opposé à la politique actuelle du gouvernement Israélien. Je suis résolument et indéfectiblement favorable à la création d'un état Palestinien libre et indépendant. Dans le même temps je suis et serai toujours un défenseur de la légitimité d'Israël. Je suis donc un sioniste pro-palestinien ? Un anti-Israélien pro-sioniste ? Un juif qui défend les palestiniens ? Tout ça n'a aucun sens si l'on n'arrive pas à prendre un peu de hauteur car les choses sont bien trop complexes pour être réduites à ce type d'étiquettes.
Il existe des intellectuels de haut rang, des journalistes, des politiques, des artistes…bref un tas de gens qui défendent la cause palestinienne (grand bien leur fasse) sans pour autant flirter avec l'antisémitisme malgré ce qu'on entend très souvent de la part des extrémistes pro-Israéliens, à savoir que critiquer Israël est faire preuve d'antisémitisme. Cette prise de position étant aussi faible intellectuellement que la théorie du complot.
Lorsque je lis Alain Badiou, que j'écoute Daniel Mermet par exemple j'entends une critique d'une politique, un combat pour des valeurs mais point de haine, et surtout point d'antisémitisme.
De même concernant l'anticapitalisme, un Lordon, un Badiou (encore lui, mais je l'adore…c'est mon champion) participent à une critique extrêmement brillante et constructive du libéralisme économique. Et pourtant ils ne versent pas dans une quelconque fumeuse théorie qui nous fait passer en plus pour des abrutis qui ne comprennent rien au monde qui nous entoure.
Je ne place évidemment pas Rony Brauman dans le camp de ceux qui hurlent au complot car je ne l'ai jamais entendu explicitement décrire cela. Je ne dis pas qu'il n'opérera pas un jour ou l'autre un virage en ce sens (il a tendance à s'enfoncer et à manier un argumentaire douteux lorsqu'il se sent acculé), mais pour l'instant ça n'est pas le cas alors ne lui faisons pas de procès d'intention.

Une frange d'intellectuels est actuellement en train de prendre parti contre cette guerre en avançant plusieurs arguments.
Le premier est l'invalidité du droit d'ingérence. Les états sont souverains, le droit d'ingérence n'existe pas. A cela je me permets simplement de souligner que sans droit d'ingérence il y aurait de fortes chances qu'on parle allemand aujourd'hui ici. Je n'ai rien contre l'allemand, mais moi-même étant issu d'une famille Juive je ne serais pas là pour raconter ma vie. Le droit d'ingérence est une notion à manier avec beaucoup de précaution, mais qui existe bel et bien, n'en déplaise à ces gens.
Le second argument est de dire « Pourquoi lui et pas les autres ? ». En effet, pourquoi ne pas aller destituer le roi Fahd d'Arabie ? Ou Saleh au Yémen ? Ou tous les autres finalement ? Bien évidemment que l'argument est recevable, néanmoins la realpolitik, comme son nom l'indique, n'est pas une vue de l'esprit. Elle est bien réelle. Un pays n'a pas d'amis, pas d'ennemis, il n'a que des intérêts. Ce précepte s'applique à toutes les nations du monde à mon avis. Néanmoins lorsque la violence et la barbarie dépassent certaines limites inacceptables, il est légitime de tenter d'épargner des vies innocentes…même si je ne suis pas dupe sur le fait que le pétrole n'est pas étranger à cette guerre. Et ce bien que Kadhafi n'ait jamais, à l'inverse de Saddam Hussein, fait le moindre chantage au pétrole et a toujours été très bienveillant avec les multinationales de l'or noir. Les choses pouvaient très bien continuer ainsi pour Exxon ou Total. Le pétrole est la force et la faiblesse du Moyen-Orient. Leur bénédiction autant que leur malédiction.

Je ne vais pas reprendre les arguments un par un, si vous les voulez cherchez Michel Collon sur le net, allez sur son blog et vous vous ferez votre avis…
Le mien est le suivant : «  Faute de grives on mange des merles ». Cela veut simplement dire qu'en effet Kadhafi n'est pas le seul despote du coin qu'il faudrait destituer, mais il est allé trop loin. Tirer à l'arme de guerre sur des manifestants n'est pas acceptable et ce même si durant des décennies on s'est accommodé de ce régime. Kadhafi lui-même a déclaré la guerre au reste du monde en agissant ainsi. La situation risque de devenir difficile à gérer, voire très compliquée si les pays arabes lâchent la coalition, qui elle-même tendra naturellement à se fissurer de plus en plus en toute logique, néanmoins on ne pouvait pas ne rien faire. Je tiens à souligner que dans la forme l'attitude de Sarkozy et de sa diplomatie est des plus navrantes et je m'en désolidarise évidemment. Mais bon, ce type est un minable patenté de qui il ne faut rien attendre de bon (on reparlera du FN à 25%...malheureusement).
Il faudrait qu'on intervienne en Côte d'Ivoire ? Je suis d'accord, mais le problème est : quel camp choisir ? J'opterais personnellement pour Ouattara, mais ça n'est pas si simple en fait…
Il faudrait également intervenir en Chine et dans une moindre mesure en Russie si l'on s'en tient au strict respect des droits de l'homme ! Et il va de soi que ça n'est ni possible, ni souhaitable. Les oppositions à ces régimes particuliers ne peuvent venir que de l'intérieur, en aucun cas de l'extérieur.
Ma position est finalement assez pragmatique. A défaut de défendre les droits de l'homme partout dans le monde avec efficacité, défendons au moins les cas les plus patents d'atteinte aux êtres humains, au respect de la vie tout simplement.
De plus, tout aussi cyniquement, on peut dire que Kadhafi est déjà presque à genoux. Il a réussi à acheter sa paix intérieure depuis 40 ans, et ainsi à pacifier les tribus, qu'arrivera-t-il lorsqu'il partira ? La Libye va-t-elle éclater en autant de tribus ? Peut-être mais si on ne sait pas ce que serait l'après Kadhafi, on sait à peu près ce que ça donne avec lui…alors tentons le coup. De plus c'est l'insurrection elle-même qui a appelé à l'aide. Qui sommes-nous pour la refuser ?

J'ai tout à fait conscience des problèmes moraux, géopolitiques, militaires, humains qui se posent suite à cette guerre qui démarre. Néanmoins je pense sincèrement qu'il fallait arrêter l'entreprise de vengeance que le fou de Tripoli avait commencé à mettre en branle pour punir ceux qui osèrent lui tenir tête.
On ne peut pas être du côté de la barbarie. Pas toujours, pas tous ensemble…

Peut-être que je me mordrais les doigts d'avoir été favorable à cette intervention, je serai le premier à le reconnaître. Néanmoins jusqu'à preuve du contraire Kadhafi n'a jamais été un gage de stabilité et il est temps après 42 ans au pouvoir de passer la main….Et même si ça n'est pas aux occidentaux de le décider, leur rôle est de soutenir et d'aider la rébellion.  
Il ne faut surtout pas que le commandement revienne à l'OTAN, il faut que les pays arabes qui étaient parti prenant au départ s'impliquent d'avantage. Ils en ont  tout à fait les moyens.

Des bombes françaises vont certainement déchiqueter des enfants Libyens. C'est une horreur absolue, mais parfois il devient compliqué de tourner la tête et de laisser les potentats locaux réduire les mêmes enfants en bouillie sans réagir.

Je crains que la route qui mènera la Libye à plus de paix et de liberté (je ne parle pas de démocratie, ça n'a pas de sens ici. Les systèmes tribaux sont difficilement compatibles avec nos démocraties occidentales. A eux de trouver un système satisfaisant, à nous de les aider) ne soit jonchée d'embûches.
Toutefois il est compliqué d'expliquer que sous couvert du respect de l'auto-détermination des peuples à disposer d'eux-mêmes il est possible de laisser une opposition écrasée par des chars.

Ne loupons pas le coche de ce formidable souffle de liberté qui souffle sur l'Afrique du Nord. Sachons accompagner, dans la mesure de nos moyens, et de leurs demandes, les changements structurels qui doivent y être effectués. Et surtout ne coupons pas les ponts avec les oppositions à ces nouveaux régimes qui se mettrons en place.

Il est là le changement fondamental d'attitude que nous devons avoir. Aujourd'hui nous n'avons pas de contact avec ce qui constituait hier les oppositions Tunisiennes, Egyptiennes et Libyennes. Or ça n'est qu'en permettant la médiation entre deux parties qu'on arrive le plus souvent à des compromis. Le compromis étant le propre des régimes vivants et « intelligents ». Je sais je prône plus souvent le cocktail Molotov que le dialogue mais je vais être papa dans quelques jours alors…j'ai envie d'un peu de paix autour de moi.

En vous souhaitant une bonne journée.
Hasta Siempre