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Anthropologie de la misère

En ce jour de manifestations et de lutte, je me permets de mettre ici en ligne un texte qui date du 23 Janvier 2009.

Il s'appelle "Anthropologie de la misère" et fut une de mes réactions à plusieurs faits, lectures et réflexions diverses.

Aujourd'hui, en 2010, à Paris il est beaucoup plus compliqué de se procurer du cannabis, ou shit, ou herbe...enfin un truc de jeune pas Junkie. Que de la cocaïne, du crack ou de l'héroïne.
De quoi faire de nos gosses de vrais Junkies pour le coup.
La drogue entraîne la misère. La misère entraîne la drogue. Qui est l'œuf? Qui est la poule?

Je pense avoir la réponse, mais je n'ose encore la dire.
En attendant je vous propose ce texte écrit un matin de colère mais fait pour que cette colère ne se ressente...pas trop.

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Ça faisait un moment que je ne m’étais mis en colère sur ce blog…et oui étais-je moins en colère ? Certainement. Etais-je plus préoccupé par construire que par dénoncer ? Encore plus certainement.

Néanmoins, une fois n’est pas coutume, cette vile boite à images qu’est la télévision a réussi à me faire sortir des mes gonds !

 

Ça n’était pas vraiment par choix que j’ai vu cette horreur de reportage ce mercredi soir sur M6. Non j’étais en train de voir cette excellente, bien qu’inégale, émission d’Arte nommée « Zoom Europa », qui une fois terminée m’amène à prendre la télécommande, confiant que j’étais dans les programmes télévisuels venant de me taper un brillant documentaire sur la laïcité en Turquie, me voilà donc sur M6.

 

En bas à droite de l’écran, un petit rond avec inscrit « -10 », c’est accrocheur, va y avoir du sexe ou du sang, ou peut-être même les deux si on a de la chance !

En bas à gauche de l’écran, un bandeau criard indiquant « ENQUÊTE EXCLUSIVE », et un titre « RIO LA VILLE AUX DEUX VISAGES », ou un truc du genre, mais ça n’est pas ça l’important.

 

Nous voilà donc plongé au cœur de Rio de Janeiro, capitale touristique et poumon économique du Brésil, gigantesque mégalopole de 6 millions d’habitants, des plages de rêves, une baie ouverte sur l’Atlantique unique au monde, et Jésus qui regarde la cité les bras en croix, impressionnant, mais qui a quand même l’air bien con, je sais pas, peut être le peignoir…ça ne lui va pas.

En même temps je l’ai toujours trouvé benêt ce type, mais c’est un avis personnel.

 

Le parti-pris du journaliste était de montrer les deux faces de Rio, celle riante et fortunée qui se gave de touristes, de beautés en string, de samba et de football. Puis celle monstrueuse, laissée à l’abandon, ou la guerre sévit désormais depuis que l’état a décidé de reprendre les choses en main, celle des Favelas qui surplombent les quartiers huppés de la ville.

 

Ok me dis-je, pourquoi pas ? Même si je commençais à trouver ça un peu louche, comment parler des Favelas en 40 minutes ? C’est pourquoi je suis resté devant l’écran, bien mal m’en a prit ! Je me suis endormi en colère, réveillé en colère et suis toujours en colère !

 

Les Favelas c’est quoi au fait ? Ce sont des bidonvilles construits à flanc de colline par les habitants qui, fuyant la pauvreté des campagnes, voulaient tenter leur chance dans la grande ville. Or on ne mélange pas plus les pauvres et les riches là-bas qu’ici…

Quartiers parmi les plus pauvres du monde, les favelas ont été abandonnés par l’état depuis bien longtemps, zone de non-droit absolue il a bien fallu que la vie malgré tout se passe, s’organise et des générations sont passées, naissant vivant et mourant dans les favelas.

La faillite et la démission de l’état sont bien les problèmes fondamentaux de cette situation, mais pas selon M6…non apparemment, ces mignonnes petites maisons, enchevêtrées les unes dans les autres, ou la vie s’est organisée ou même on y voit ici une rue commerçante, là un coiffeur. Monde en autarcie, mais on avait l’impression que c’est par choix que ses habitants avaient décidé d’y vivre.

 

Je vous avoue que je me suis dit « Ben mon vieux, voilà encore un reportage pourri ou la subjectivité n’est même pas maquillée, tu ferais mieux de te barrer », mais je ne l’ai pas fait.

 

Dans les favelas, les gosses ont plus facilement un revolver qu’un ballon de foot, le trafic de cocaïne est tentaculaire et la vie régie par des parrains locaux.

 

Dans le même temps on nous montrait des blaireaux d’une école de samba parisienne venus participer au carnaval, histoire de nous immerger dans Rio la lumineuse. Cette part du reportage était absolument, totalement vide de sens. Aucun intérêt, et surtout je ressentais une gêne étrange à voir se suivre des images d’une violence effroyable et d’autres d’une platitude crasse, que se passe-t-il dans la tête du téléspectateur à ce moment là ? J’aimerais beaucoup le savoir j’avoue….

 

Mais revenons aux favelas. Lors de son accession au pouvoir le président Lula, issu du peuple, homme de gauche soi-disant, décide de prendre le problème à bras le corps, et de réhabiliter les favelas en luttant contre le trafic de drogue. De ne plus tolérer que dans ce pays il y ait des endroits ou la police ne puisse pas aller….ça ne vous rappelle personne ?

 

Bref Lula a décidé de faire le ménage, peut être au karcher, surtout à la Kalachnikov…

 

En effet des décennies d’abandon, ont laissé se mettre en place un système social des plus simples mais des plus solides également, pour ces gens qui ne peuvent plus faire confiance à l’état.

Qui n’ont jamais pu, et pour certains d’entre eux ne pourront jamais d’ailleurs.

Système assez simple au final, un Parrain, qui règle les conflits, organise le trafic, aide financièrement certains habitants au besoin ce qui lui confère une aura et un respect particulier, assurance indispensable pour survivre.

Puis telle une armée, le seul boulot étant le trafic de coke, chacun y a sa place. Les guetteurs, les passeurs, les dealers, les armuriers etc…chaque poste équivalent à un salaire, une petite entreprise en sorte, qui fait vivre le quartier.

Un de ces parrains interrogé disait en substance ceci : « Le trafic de drogue est le seul moyen pour survivre ici, l’état ne fait rien pour aider les gens, alors moi je le fais »

Et le journaliste de commenter « voilà que notre homme se prend pour un entrepreneur philanthrope, on croit rêver ! »

 

Oui tout à fait, maintenant le journaliste donnait son avis sur le problème et de manière sèche, indiscutable et stupide.

 

Bien sur que l’on croit rêver, mais on rêve pourquoi ? Parce que la cécité des dirigeants Brésiliens depuis des années a permis de laisser se construire ces quartiers mortifères ? Parce qu’un type sans aucune éducation, s’est mis en tête de sortir du lot de faire de l’argent et de jouer au parrain ?

Je ne cautionne ni le trafic de drogue, ni la violence armée, ni la violence psychologique que les « dirigeants » des favelas imposent aux leurs, mais la stupidité d’un tel commentaire, venant d’un homme blanc, éduqué, vivant dans l’opulence, voyant le monde avec des yeux d’occidentaux aux valeurs bien établies, ou le mal et le bien sont même écrits dans les livres. Comme un vieux relent moisi de colonialisme et de racisme.

Comment émettre un jugement sur le comportement de gens qui ne peuvent que survivre, sans prendre en considération le contexte général, social et sociétal d’une telle structure ?

Personnellement je ne comprends pas que l’on puisse encore faire ça à l’heure actuelle.

 

Il est rare qu’un ado mâle dans les favelas atteignent la majorité, un exemple nous était présenté le type vendait de la drogue avait 23 ans, 2 balles dans le corps et plusieurs enfants dont il tenait à s’occuper au mieux, pour qu’ils réussissent leurs vies.

Pour la seule et unique fois a été effleuré l’idée qu’au final, et comme tout un chacun, ce que désirent ces gens est de garder une certaine dignité.

Alors que la problématique se trouve ici.

Dans un livre "brillantissime" de l’anthropologue Philippe Bourgeois intitulé « En quête de respect – Le crack à New York », ce problème est parfaitement étudié et expliqué dans le contexte de l’est d’Harlem. La violence y est moindre, mais la résonnance entre ce qui était montré et ce livre m’a stupéfait. Dans ce livre il citait notamment une de ses consœur ayant étudié les favelas et expliquant que chez les plus pauvres des habitants il arrivait qu’une mère de famille laisse dépérir ses enfants les plus faibles car ne pouvant les nourrir elle les sait condamnés et doit se recentrer sur les plus forts. La perte d’un enfant que l’on soit pauvre ou riche induit la même douleur, mais la cruauté de la vie fait que cette mère de famille n’a même pas l’énergie suffisante pour pleurer son enfant. Car seule la survie est capitale.

Des chercheurs occidentaux s’en sont offusqués montrant du doigt la perte d’humanité qui est une conséquence de la misère la plus noire. Mais c’est en se basant sur nos principes, sur nos valeurs et sur nos niveaux de vie que l’on peut avoir ce genre de réflexion. Si l’on veut comprendre il faut tout replacer dans un contexte global, ce que certains se refusent à faire car cela pointerait des manques évidents des systèmes politiques et sociaux qu’ils défendent.

 

Il est évident que cette femme souffre autant qu’une autre de la perte d’un fils, comment dénoncer un manque d’humanité ? Alors qu’elle doit choisir parmi ses enfants lequel pourra vivre ou non ? Qui peut faire ce choix ? En tout cas pas dans nos sociétés à mon avis.

 

Donc selon le journaliste responsable de cette mascarade d’information, les humains tentant de survivre sont des narco-trafiquants qu’il faut éradiquer.

Les « victimiser » à outrance est une erreur, mais ne pas considérer le contexte global en est une autrement plus grave, car le jugement est faussé et si l’on veut trouver des solutions durables c’est structurellement qu’il faut attaquer le problème et non sous l’angle policier, autoritaire et faussé selon lequel l’état de droit une fois décrété ne peut être remis en question et tous les moyens sont bons pour le maintenir, voire le mettre en place.

 

Tous les moyens ? Même le meurtre assermenté ? Il faut croire, car cette « reprise en main » des favelas semble passer par la mise en place d’unités paramilitaires ou même (c’est peut être le plus inquiétant) totalement intégrées à l’armée.

Bien sur que la violence extrême à laquelle est confronté l’autorité publique peut expliquer ce durcissement à outrance qui ne fait au final qu’établir légitimement la loi du talion. Comment, de ce fait, permettre aux oubliés des collines de Rio de retrouver confiance en l’état ?

A Rio cette unité s’appelle le BOPE. Le but du BOPE est de faire peur, population et trafiquants qui à leurs yeux sont intimement liés, et de tuer.

Petit groupe de fachos assoiffés de sang, certains diront que nous n’avons pas le choix et que le ménage doit être fait. Certes, l’éradication du commerce de la drogue dans les quartiers ou les parties du monde les plus pauvres est nécessaire au développement social. Nécessaire et indispensable, mais est-ce que sacrifier une ou deux générations en en faisant des ennemis de l’état est une solution ?

Je ne le pense pas.

Dans ce reportage, lors d’une mission du BOPE, des images pas vraiment spectaculaires mais qui le deviennent dès que le sang jailli. Un deal de coke dans une ruelle, quelques grammes, selon la police les jeunes tirent, les flics répliquent et tuent un adolescent. Ils s’en félicitent chaudement, ce qui est choquant mais là, comme par hasard le journaliste ne se permet pas de juger comme il le fait concernant le mafieux décrit plus haut.

Étrange ou complicité silencieuse et résignation ?

Les libertés civiles et individuelles sont-elles si menacées ? Rio n’est pas Paris, qui n’est pas New-York. Et pourtant les schémas se reproduisent inlassablement.

 

Je pourrais écrire des heures sur ce qui m’a choqué dans ce reportage, sur la désinformation systématique de ce genre de programmes, et surtout pratiqué par ce genre de diffuseur !

Mais le temps et l’espace me manquent, de plus soyons plus malins et élevons le débat concernant cette anthropologie de la misère.

C’est pourquoi je conseille à tous la lecture de l’ouvrage de Philippe Bourgeois intitulé « En quête de respect : Le crack à New-York » édité aux éditions du Seuil.

De même qu’un article très factuel mais intéressant sur les troupes de choc de la CIA qui ont façonnées au fil des ans des unités comme le BOPE, paru dans le « Monde Diplomatique » de Janvier 2009.

 

Numéro du journal ou d’ailleurs un dossier est consacré aux anarchistes ainsi qu’un petit article sur la BD indépendante, si vous ne l’avez fait je vous conseille donc de l’acheter.

 

Sur ce je vous souhaite une bonne journée, et m’en retourne à la poésie….elle me fait tant de bien, je paraphraserai Howard Butten, qui après l’investiture d’Obama, déclare en substance : « Quand je l’entends parler j’ai les larmes aux yeux, car il dit ce que j’attends qu’un homme important dise depuis longtemps, et pas seulement un homme politique. Puis je sèche mes larmes et je regarde le monde, et mes larmes remontent inexorablement »

 

A bientôt



16/10/2010
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