Zone libre

Je sais bien que la dernière fois j’avais annoncé qu’on causerait de Michel Foucault et de LSD. Et pourtant je suis bien emmerdé ce matin…Pour tout vous avouer j’ai commencé un texte sur les relations troubles et complexes que peut entretenir un créateur et sa créature. Entre la nature même de celui qui crée, et par là j’entends son humanité dans ce qu’elle a de plus large, et le résultat de son travail. Céline est-il un infâme antisémite haineux ou bien un écrivain génial ? A moins qu’il ne soit les deux, que ces deux composantes (sa personnalité effroyable et son talent indéniable)  formant un tout…je ne sais pas, enfin si je sais un peu mais je ne sais pas dans quelle mesure, c’est plus ça ma question. Bukowski aurait-il pu produire autant de livres débordants de talent et de poésie s’il n’avait été un sordide alcoolique incurable ? Burroughs aurait-il trouvé les mots qui firent de lui un ovni littéraire et une influence majeure pour plusieurs générations de lecteurs sans être un héroïnomane extravagant, pédophile notoire et un pervers totalement immoral ? Foucault aurait-il pu repousser les limites de la pensée philosophique avait tant de panache si lui-même il ne fut pas un partouzeur amateur de jeunes éphèbes et consommateur régulier de drogues hallucinogènes ? Je pense que ses travaux furent différents. Non qu'il furent moins brillants, mais différents.

Des exemples comme ça on en a des tonnes, et en fait j’avais entrepris d’y trouver une réponse, du moins d’y exprimer mon avis. D’ailleurs en relisant mes notes je me dis qu’un Christophe Maé ou un Vincent Delerm devraient se mettre de toute urgence aux drogues dures…au mieux ils arrêtent de produire quoi que ce soit, au pire ils ne s’en relèvent pas ! C’était un aparté méchant mais je ne me prive de rien, faut pas croire…

En bref, ce sujet que je ne suis pas le premier, et ne serai pas le dernier à aborder, m’intéresse et le travail étant en cours il sera certainement mis en ligne d’ici quelques temps.

Ce matin c’est à chaud que je prends ma plus belle plume, façon de parler. Sans brouillon, sans trop réfléchir, cette chronique sera rédigée sous le coup de l’émotion et de la consternation…

Une vie humaine a-t-elle une valeur unique ou bien certains êtres humains valent plus cher que d’autres ?

Cette question, stupide au demeurant, je sais bien, inutile de ricaner, semble trouver une réponse évidente. De nous-mêmes, du moins je l’espère, nous serions tenté de répondre qu’il est évident qu’une vie en vaut une autre et ce quelles que soient les conditions !

Est-ce de l’angélisme ? Est-ce de la naïveté ? Est-ce un manque de lucidité ? Peut-être les trois à la fois en fait…à minima d’ailleurs !

Au mois de décembre l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, en Tunisie, allait donner le coup d’envoi des festivités ! Bien sinistre coup de sifflet je vous l’accorde aisément. Nous connaissons, désormais, tous, le nom de ce garçon. Il est venu allonger l’immense liste de martyrs tombés pour les multiples révolutions qui ont émaillé l’histoire de l’humanité. Qui est capable de citer le nom d’un seul des manifestants mort sous les balles de la police Tunisienne ?  Ne culpabilisez pas, c’est normal….je ne veux pas non plus vous plomber le moral, enfin pas trop !

On s’est alors mis à parler de chiffres. On comptait les morts, on débattait sur leurs valeurs, selon que l’on se trouvait de l’un ou l’autre côté du manche. Et puis l'Égypte, où il semble qu’il y ait eu encore plus de morts. Mais plus de morts ou moins de morts, finalement, qu’est-ce que cette information nous apporte ? Les policiers Égyptiens savent-ils mieux tirer que les Tunisiens ? Ne soyons pas trop cynique, et pourtant ça n’est pas l’envie qui m’en manque…

Ensuite Bahreïn s’est mis en branle, le Maroc gronde, le Tchad même se demande s’il n’est pas temps pour le peuple de sortir de sa léthargie.

Il est navrant de constater actuellement que nombre de couvertures de magazines d’information, ou de quotidiens, titrent sur « A qui le tour » en montrant généralement un très joli patchwork de toutes les tronches moisies de ces despotes sanguinaires. Ça fait vendre du papier, je l’espère pour eux en tout cas, car intellectuellement c’est extrêmement douteux. En effet ces pays, même s’ils peuvent tous prétendre souffrir du joug des dictatures locales, sont bien évidemment différents les uns des autres. Les spécificités de chacun de ces pays ne semblent pas prises en compte par ce genre de papier fait pour choquer. Comme un relent de colonialisme autant qu'une certaine paresse intellectuelle. C’est comme ça qu’on construit de fausses idées qui auront certainement des répercussions sur l’histoire que nos enfants et petits-enfants ne manqueront pas (du moins j’espère qu’à l’époque on enseignera encore l’histoire) d’étudier à l’école.

J’en viens aux deux plus grands pays d’Afrique sub-saharienne, l’Algérie et la Libye.

Les prémices d’un mouvement de contestation virent le jour en Algérie à peu près au même moment qu’en Tunisie. Est-ce à croire que les Algériens aspirent moins à la liberté que leurs voisins ? Permettez-moi d’en douter. Cette révolte fut matée immédiatement, sans ménagement, comme tuée dans l’œuf. Aucun média n’en parle, cela rappelle les années 90 où une chape de plomb s’était abattue sur le pays et duquel aucune information concernant les massacres en cours ne filtrait. Ah on n’en sortira jamais de cette sale guerre d’Algérie ! On aura toujours un rapport plein de culpabilité mâtinée de condescendance à l’égard de ce beau pays, c’est dommage car je suis persuadé que les saloperies commises par ce régime mériteraient un poil plus de visibilité….Saleté d’énergie fossile qui nous empêche de défendre nos valeurs ! Enfin « nos » valeurs, celle de ceux qui pensent qu’une vie vaut une vie et que surtout elle ne vaudra jamais tout le pétrole du monde…sommes-nous encore nombreux ici-bas ? Je vous laisse entreprendre un sondage auprès de vos proches, vous pouvez m’envoyer les résultats je me ferai un plaisir de les synthétiser.

Donc rideau sur l’Algérie, et semble-t-il, personne n’a vraiment l’intention d’en savoir plus.

Par contre en Libye….on touche à l’abjection de si près qu’on entend distinctement le bruit des crânes explosant sous l’effet d’une balle.

La première réaction face à ce qui est en train, en ce moment même, de se passer en Libye est l’horreur intégrale. La stupéfaction et la peur. Une fois de plus je constate d’ailleurs non sans une certaine satisfaction malsaine que notre diplomatie est la plus pourrie du système solaire ! Kadhafi était devenu notre ami, rappelez-vous, et devait nous acheter plein d’armes ce qui est bon pour la croissance ! Enfin pour la croissance des portefeuilles de Serge Dassault et d’Arnaud Lagardère surtout, mais ne soyons pas mesquin…enfin pas trop.

Ok, nous n’étions pas les seuls à vouloir nous persuader que Kadhafi avait changé, qu’il n’était plus le monstre sanguinaire qu’il s’entêtait à être depuis 40 ans. 42 ans pour être exact, c’est incroyable quand on y pense….Incroyable car la Libye n’est pas vraiment un pays, mais plutôt une fédération de tribus. Il n’existe pas de constitution et une décentralisation factice du pouvoir est la règle, ce qui est malin car on donne l’impression aux gouverneurs locaux d’avoir du pouvoir, donc ils veulent le conserver, donc ils restent dociles…j’aurais été un excellent despote j’en suis certain. Oui, nous occidentaux, avions envie que Kadhafi soit gentil et qu’il nous permette de venir lui prendre un peu de son pétrole. Oh pas beaucoup, de toute façon il en a plein….mais, d’ailleurs, le sous-sol Libyen contenant encore plus de pétrole non exploité, plus encore qu’en Irak et un peu moins qu’en Iran, n’aurait-ce pas été une bonne raison pour que les Américains s’en mêlent ? Ahhh j’ai le cynisme qui me colle au slip ce matin, c’est désagréable. Il faut dire que les Américains et les Libyens entretiennent, comment dire, des relations que l’on pourrait qualifier de complexes. Voire pas du tout de relations…ça aide pas pour exercer une quelconque pression.

Le nombre de victimes en Libye est difficilement quantifiable. Entre les 84 annoncés par le pouvoir et les 400 annoncés par Human Rights Watch il y a un gap. On est évidemment plus enclin à croire HRW, mais ce sordide décompte me glace le sang. Je sais bien que c’est l’apanage des conflits (guerres, attentats, émeutes etc.) de compter les morts comme on compterait des moutons le soir pour s’endormir. Je sais bien que cette donnée est importante et nous permet de savoir si on a affaire à une répression molle, modérée ou intégralement barbare ! Étrange classification s’il en est, et pourtant c’est la réalité. Il nous faut l’admettre.

Ce qui se passe en Libye me terrifie. Le simple fait de faire bombarder sa population par l’aviation est un crime contre l’humanité. Kadhafi est totalement fou, il me rappelle tout simplement Hitler. Et oui, ça peut sembler facile, mais pourtant j’y trouve nombre de points communs. L’habilité politique (au moins au départ pour Hitler), la folie furieuse, l’absence totale d’humanité et une mégalomanie dévorante. Certes il y en a d’autres des types pareils, mais là on sombre dans la barbarie la plus simple. Les Libyens appellent au secours, comme disait le fiston du guide suprême (ben ouais là aussi on peut trouver une ressemblance avec Hitler, Führer voulant dire guide en allemand) des rivières de sang vont couler. Parce qu’en plus ils sont poètes maintenant les gars….des rivières de sang, sans déconner ! Pourquoi pas un tsunami de tripes, un océan de larmes, une montagne de crânes défoncés ? On parle beaucoup d’ingérence en ce moment, mais il faut intervenir en Libye ou sinon on va assister à un génocide, un véritable génocide.

Je suis absolument effrayé par ce qui s’y passe. J’en ai du mal à construire une pensée un tant soit peu rationnelle.

Lors du procès des criminels nazis à Nuremberg, le procureur Jackson qui menait les débats a, lors de son préambule, déclaré que l’on jugerait ici des faits qui, s’ils se reproduisaient, signeraient purement et simplement la fin de la civilisation. Et il avait raison.

La Libye est aux mains d’une bande de barbares amoraux pour certains, immoraux pour d’autres, mais qui n’ont absolument aucune considération pour la vie humaine.

Pour eux non seulement les vies n’ont pas toutes la même valeur, mais elles n’ont pas de valeur !

L’homme est ainsi fait que l’empathie est proportionnelle à la proximité des autres. C’est-à-dire qu’il sera toujours plus douloureux de pleurer la perte de son chat qu’un manifestant Libyen.

Néanmoins, actuellement, à l’instar des grandes années du Téléthon, le compteur de morts ne cesse de s’incrémenter, et à une vitesse effarante.

Il a promis un bain de sang, le massacre a déjà commencé. Je vous avoue que ce matin je suis plus que perplexe. Que va-t-il se passer au cours des prochains jours ? La Libye s’enfonce dans le chaos, les ténèbres s’abattent sur ce pays, et nous allons une fois de plus compter les morts. Que faire d’autre ? Je pense qu’il y a beaucoup à faire, si tant est que nous en ayons le courage.

Mais le courage n’est pas l’apanage des démocraties modernes, parlez-en aux députés qui votèrent les pleins pouvoirs à Pétain en 40….

L’histoire retient quelques ordures innommables. En vrac on pourra dire Ghengis Khan, Napoléon, Hitler, Staline, Pol Pot…et Kadhafi.

La liste est loin d’être exhaustive…malheureusement.

Hier un dignitaire religieux a lancé un appel à l’armée pour qu’il tue Kadhafi. Le concept me déplait fortement, mais pour le coup est-ce que la vie de Kadhafi a le même prix que celle d’un des nombreux morts sous les balles de ses mercenaires ?

Peut-être qu’elle permettra qu’on en évite d’autre….qui sait ?

Bon ben, sur ce je vous laisse j’ai à faire !

Hasta Siempre et ne lâchons rien….ou du moins essayons !