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Nemmersdorf ou les limites de la propagande

Le 6 Juin 1944 un peu avant l’aube, au large des côtes Normandes, la plus importante concentration d’hommes et de matériel que l’histoire eut connue se préparait à débarquer sur les plages.
Ce jour sonna le glas des espoirs Allemands, non pas de remporter la guerre car cela ne semblait plus être possible depuis la défaite de Stalingrad, mais au moins de garder des atouts en main histoire d’envisager quelques négociations en vue de se sortir de l’enfer.
Il est vrai qu’Hitler n’a jamais officiellement fait état d’une hypothétique reddition, et ne le fera jamais (En 1943 il s’était confié à Baldur Von Shiracht - responsable des Jeunesses Hitlériennes, puis Gauleiter de je ne sais plus quel Gau (région selon la nomenclature nazie). Nazi fanatique il fut emprisonné et un des seuls dirigeants de cette bande de soudards hystériques à, sinon faire repentance, au moins prendre ses responsabilités et entamer un travail critique sur ce qui s’est passé entre 1933 et 1945 - sur le fait que l’unique voie, pour lui, de finir la guerre était le suicide), mais en coulisses les choses n’étaient pas si tranchées.
En effet Hitler considérant la coalition alliée comme contre-nature et fragile il pensait pouvoir remporter encore quelques batailles afin de lézarder l’union entre les Anglais, les Américains et les Soviétiques ; puis se poser en rempart contre le communisme et ainsi négocier une sortie plus ou moins honorable avec les Anglo-Américains.
Comme quoi ils ne doutaient de rien…Himmler lui-même pensait très sérieusement qu’il pourrait être un interlocuteur des alliés occidentaux après la guerre, comme si la solution finale n’avait été qu’une funeste conséquence inévitable d’un combat glorieux entre nations civilisées !

Les nazis avaient depuis longtemps abandonné la civilisation pour sombrer dans la barbarie la plus violente, la plus sordide, la plus innommable. Mais il ne faut pas oublier qu’en plus d’être des fanatiques enragés ils n’étaient pas non plus des plus malins ! Quand on pense que Goebbels  était considéré comme l’intellectuel du parti, pendant qu’Alfred Rosenberg était leur idéologue.
Les nazis vouaient une haine farouche aux intellectuels, à l’intelligence, à la pensée même…des abrutis démagogues, racistes et si peu cultivés que leurs références se trouvaient dans des ouvrages tels que « Le protocole des sages de Sion », ou les opéras de Wagner !! En même temps lorsqu’on fonde ses théories sur la race c’est bien qu’intellectuellement on est limité…et c’est un euphémisme.

Bref, à cette époque les dignitaires du régime se pensaient encore faisant partie de la communauté humaine, et à ce titre en droit de revendiquer.
Lors de la conférence de Téhéran, à la fin Novembre de l’année 1943, à laquelle participent Roosevelt, Staline et Churchill, l’unique condition qui permettrait la fin de la guerre est spécifiée. Elle n’est rien d’autre qu’une capitulation sans condition de l’Allemagne. Pas d’armistice, pas de paix négociée. Les nazis, se référant aux théories fumeuses d’Adolf Hitler, ne prirent pas la mesure de cette annonce du fait de leur idée (pas tout à fait fausse néanmoins) d’une alliance contre-nature qui ne demandait qu’à se disloquer. En 1943, déjà ou bien enfin, selon le point de vue, la guerre ne peut être gagnée par l’Allemagne. Mais la guerre durera encore 18 mois, qui furent les plus sanglants de la guerre. 
Durant ces derniers mois la partie occidentale de l’Allemagne était ravagée par les incessants bombardements Anglo-Américains. Pour se donner une idée on peut prendre l’exemple de Cologne, une ville qui comptait près de 800 000 habitants en 1939 pour moins de 250 000 en 1944, qui se terraient dans les caves la quasi-totalité de la ville ayant été réduite à néant.
Finalement on se demande ce qui fit que Cologne est encore une ville aujourd’hui ?? S’il ne subsistait un réseau souterrain de canalisations, prérequis indispensable à l’établissement d’une cité moderne, il n’y avait pas vraiment de raison pour que cette ville ne fut purement et simplement rayée de la carte.
Lorsque les nazis lancèrent l’opération Barbarossa en Juin 1941 (l’invasion de l’URSS) dont l’un des objectifs initiaux était la prise de Moscou, Hitler déclara qu’il voulait que cette ville soit supprimée et qu’un lac artificiel prenne sa place…il ne put jamais larguer une bombe sur Moscou, mais par contre son fantasme ne fut pas loin de se réaliser concernant ses propres villes et son peuple, soi-disant, appartenant à la « race des seigneurs » !!? L’ironie pourrait être belle si tout cela n’avait pas engendré une telle boucherie.
Dans le même temps la partie orientale de l’Allemagne, elle, n’était pas soumise à un flux incessant de bombardements mais à l’avancée inexorable de l’armée rouge.

Nous sommes en 1944, la guerre est perdue depuis un moment, et si l’Allemagne ne capitulera que dans la nuit du 7 au 8 Mai 1945 les raisons sont multiples, et ça n’est pas vraiment le sujet dont j’aimerais parler aujourd’hui. Néanmoins il faut prendre en considération l’état mental et le moral des populations allemandes, qui soumises aux bombardements américains, qui attendant résignées et obligatoirement combattives, les armées de Staline.
La volonté du peuple est claire à ce moment-là : La paix à n’importe quel prix ! La paix ne leur fut jamais proposée, les dirigeants profitèrent même de la situation pour intensifier la répression intérieure et la violence avec laquelle le parti mena la danse à partir de Juillet (date de l’attentat manqué contre Hitler dont les conséquences ne sont pas sans lien avec cette incompréhensible résistance).
Si le peuple voulait plus que tout la paix, le sentiment qui l’animait semble avoir été la peur.
Peur des bombardements aveugles à l’ouest et son flot de morts absurdes, d’enfants déchiquetés, de vies perdues sans raison.
Peur de rencontrer les terribles fantassins soviétiques à l’Est…peur savamment entretenue par la propagande mais qui n’était pas dénuée de fondement.

On rencontre, à partir du milieu de l’été 1944, un vrai clivage entre les populations de l’Ouest et celles de l’Est. En effet si à l’ouest les morts se comptaient quotidiennement par centaines du fait des bombardements, la crainte de se retrouver prisonnier des Anglo-Américains était assez faible. Mais pour quelle raison finalement ? Le peuple allemand n’avait-il pas été dressé  comme on dresserait une bête sauvage ? N’avait-on pas glorifié la barbarie pour en faire une politique d’état ? N’avait-on pas élevé les gamins partis se battre et qui après 12 années de national-socialisme se devaient de croire en ce mythe d’un Reich millénaire et de la prédominance du  sabre face au verbe ?
C’est pourtant ce que voulu croire, ou faire croire, la propagande de Goebbels…mais il semble que finalement le peuple allemand conservait une part d’esprit critique et que des informations parcellaires parvenaient encore jusque dans les foyers.
Les Anglais et les Américains respectaient la convention de Genève, de plus l’occupation de la France, de la Belgique, des Pays-Bas et de tous les territoires à l’ouest de l’Allemagne n’avaient rien eu à voir avec ce qui se passa à l’Est. En toute logique, les populations craignaient donc moins les alliés occidentaux que les Russes…Et ils avaient bien raison !

Le 22 Octobre 1944, se déroula un évènement qui bien que très connu des historiens, ne me posa que très récemment plusieurs questions…auxquelles je réussi à apporter des réponses, et c’est bien le sujet de mon propos.
Ce jour-là, le village de Nemmersdorf, en Prusse-Orientale, tombe entre les mains de l’armée rouge.
Ce fut un des premiers lieux habité qui tombait ainsi entre les mains soviétiques dans ce qui était encore le grand Reich. En effet la partie orientale du Reich avait été si largement étendue par la prise de la Tchécoslovaquie et de la Pologne, entre autre, qu’il faut noter que ce jour-là c’est bel et bien un village Allemand ancestral qui était tombé et non une ville trophée acquise lors des atroces campagnes de 1938, 1939 et 1940.
La propagande officielle Russe invitait explicitement chaque soldat à se venger, à venger sa famille, à venger son peuple et sa nation. On est bien loin de Genève et de sa convention à ce moment-là.
Arrêtons-nous un instant sur la dichotomie de la guerre menée à l’Ouest et celle menée à l’Est par les Allemands.
L’espace vital, le Lebensraüm , pierre angulaire de la philosophie et de la politique nazie, se trouve à l’Est. Le fantasme d’Hitler n’est rien moins que de conquérir les riches terres entre l’Allemagne et l’extrême Est de la Russie et d’y installer des colons, sortes de paysans-soldats, qui n’auraient d’autre but que de travailler à assurer la subsistance alimentaire du Reich (l’Ukraine possédant, notamment, des terres arables de qualité supérieure) tout en assurant la pérennité de la race aryenne en se reproduisant comme des lapins. Un fusil dans une main, une fourche dans l’autre, l’icône du paysan-soldat construite de toute pièce par la propagande est au niveau intellectuel de tout le reste…à savoir bien en-dessous du niveau de la mer !!
L’objectif premier est donc la conquête de territoire et le vol des matières premières (pétrole et gaz Russe, pétrole Roumain, minerais rares etc..) ainsi que des denrées agricoles. En cela l’objectif affiché lors de l’attaque de la France n’est pas très différent : récupération de territoires perdus suite au traité de Versailles et conquête de territoires pour des raisons, ici, essentiellement stratégiques il faut le dire. Le sous-sol français ne regorgeant pas vraiment de ressources, l’intérêt majeur étant la possession de frontières maritimes et une ouverture vers l’Atlantique. Certes les aciéries lorraines et les champs de blé de la Beauce n’étaient pas sans intérêt, mais la principale raison de cette guerre n’est pas ici, au contraire de la guerre à l’Est.
Là où s’opère le distinguo majeur est dans l’approche du traitement des populations. La conquête de l’espace vital s’est, dès le départ, accompagnée d’une volonté explicite, assumée et farouchement entretenue par des années de propagande, d’exterminer purement et simplement un peuple entier et de réduire en esclavage ceux qui pourraient servir.
L’approche génocidaire de la guerre à l’Est est loin d’être un fait comme un autre dans ce conflit !
Lorsque les chars Allemands envahissent la Russie à l’aube du 22 Juin 1941, les premières populations envahies ne nourrissent pas de ressentiment extrême à l’encontre des nazis. En effet voilà des populations qui subissent depuis près de 30 ans la dictature soviétique et c’est presque en libérateurs qu’ils étaient prêt à accueillir les allemands !

Je me permets un aparté sur l’état d’esprit qui anime une partie du peuple russe à cette époque. La révolution de 1917 n’améliora pas vraiment les conditions de vie des paysans, loin s’en faut. Les incroyables problèmes logistiques inhérents à un pays si vaste mais également du fait d’une bureaucratie assommante ne permirent pas d’augmenter les rations, et les gens avaient toujours faim quoi qu’on en dise ! Le pouvoir ? Ils avaient l’illusion du pouvoir, l’illusion d’y participer mais rien de plus à mon avis. Enfin la répression des opposants politiques fait rage et le pouvoir central est assis sur un système sécuritaire tentaculaire et auquel personne ne pouvait se soustraire.
Ce constat je l’ai fait assez tard finalement, non sans une certaine amertume, mais il faut assumer ses erreurs et ses choix….Mais reprenons :

Donc la population Russe, écrasée par la main de fer de Staline, n’est pas trop défavorable aux nazis en 1941. D’autant plus que le pacte de non-agression signé en 1939 plaça Hitler au rang d’allié, voire de partenaire depuis 2 ans. La propagande soviétique insistant sur le péril impérialiste plus que sur le péril nazi.
Seulement voilà, les directives des chefs militaires allemands sont claires : C’est une guerre d’extermination, c’est le grand combat idéologique auquel s’est préparé Hitler toute sa vie (en effet pour Hitler communiste = Juif…quand je vous dis qu’il n’était pas bien malin), c’est à ses yeux une lutte glorieuse, un combat mythique, bref on est au-delà de la simple dispute de territoire.
Les troupes de la Wehrmacht, sûres de leurs forces et profitant de l’effet de surprise et de la désorganisation de l’ennemi à cette époque, avancent rapidement à travers les steppes et rasent villes, villages, hameaux, fermes…on assiste  à  un déferlement de furie, de haine destructrice, de sauvagerie qui n’a pas, à mon sens, d’égal dans l’histoire de l’humanité. L’opération Barbarossa est en marche, et l’humanité est au bord du gouffre !
Derrière les troupes suivaient les Einzatsgrüppen, les escadrons de la mort, dont la charge n’était rien d’autre que d’exterminer les juifs et les communistes (pas encore de partisans à cette époque, mais ils commenceront à apparaitre très peu de temps après l’invasion), donc les populations civiles.

L’épouvantable barbarie dont font montre les soldats et surtout les SS va pousser la population entière dans les bras de Staline qui n’en demandait pas tant !
La guerre à l’Est est donc une guerre idéologique avant d’être militaire. Le fanatisme extrême des nazis va, à partir de cette date, entraîner l’Allemagne vers l’abîme…et causer 50 millions de morts !
L’extermination systématique des juifs au cours de ce que l’on appelle la Shoah par balles va marquer de façon indélébile les populations locales, ce traumatisme servant de carburant à une propagande parfaitement huilée.

Le nombre de victimes russes au cours de ce conflit est sujet à discussion, mais un consensus entre les historiens permet de l’estimer à 20 Millions. Militaires et civils (juifs ou non) confondus. Ce chiffre, si énorme qu’il en devient abstrait, va non seulement faire de la Russie le pays ayant vu le plus grand nombre de ces compatriotes mourir dans ce conflit, mais également avoir une conséquence arithmétique évidente : Rares sont les soldats qui n’ont pas eu un membre de sa famille, un ami, un proche qui ne fut victime directe ou indirecte de la sauvagerie des nazis.
De fait quoi de plus froidement cynique que d’appeler à la vengeance de la part du petit père des peuples ? Froideur et cynisme dont il était pourvu à en revendre !

Les Russes avancent donc vers Nemmersdorf assoiffés de haine et imbibés de vodka.
Dans le même temps la population du village se terre, ne pouvant être évacuée pour des raisons évidentes de désorganisation généralisée au sein du Reich à cette époque mais également parce que les dirigeants du parti refusèrent cette option. On ne fuyait pas, on se battait jusqu’à la mort…pourquoi ? Pour le bon plaisir d’Hitler qui, considérant que son peuple perdant la guerre en était responsable et de fait ne méritait pas de survivre dans ce combat sans merci contre le communisme, le condamna à mort en même temps que lui. J’ai beau en savoir long sur la psyché d’Adolf Hitler je suis toujours glacé d’effroi lorsque je réalise les faits…ça marche à tous les coups !

Mais revenons à nos moutons maintenant que quelques éléments importants ont été mis sur la table afin de tenter de comprendre cette histoire de Nemmersdorf…

Ce qui se passa dans ce village le 22 Octobre 1944 ne sera vraisemblablement jamais élucidé. Très peu de témoins, une récupération immédiate par la propagande de Goebbels tordant à tout jamais l’histoire, font que la vérité ne peut être garantie.
Les faits furent présentés ainsi par la propagande : Des enfants empalés sur des fourches, brisés contre les murs. Des dizaines de femmes de tous âges violés à maintes reprises, des fillettes également. Des hommes, des femmes, des enfants massacrés, éventrés. Des femmes crucifiées sur les portes de leurs granges…etc. Le tout illustré par des photographies, bien évidemment montées de toute pièce, mais incroyablement choquantes. Même pour un allemand en 1945…
Selon le témoignage d’un des seuls témoins encore vivant quelques années après, il semble que ce bilan dressé par la propagande doit être ramené à la baisse, ce qui ne retire rien à l’atrocité de la chose, bien entendu.

Comme énoncé un peu plus haut, les soldats soviétiques étaient invités à la vengeance. Encouragés à tuer sans distinction, à violer officiellement. Il leur était explicitement dit qu’aucun allemand n’était innocent, qu’il fallait éradiquer le fascisme et venger les enfants de la Russie qui tombèrent entre les mains de ces barbares !

Les troupes allemandes entamèrent une contre-attaque et reprirent Nemmersdorf quelques jours plus tard. C’est alors qu’ils filmèrent et photographièrent des scènes d’une choquante atrocité.
Toutefois à la lecture du journal de Goebbels qui déclarait que ce qu’il avait vu démontrait de façon éclatante que la théorie selon laquelle les slaves étaient des animaux et non des êtres humains se trouvait ici confortée à l’extrême !
Il se passa bien des exactions terribles à Nemmersdorf, et il semble effectivement qu’une vieille femme fut crucifiée, mais les détails ignobles servis par la propagande n’ont jamais été confirmé.

De ces faits Goebbels se servit, donc, afin d’alimenter sa propagande dans le but de galvaniser la population dans l’optique du grand combat final, celui qui allait voir la victoire du peuple allemand, ou bien sa destruction pure et simple.
A l’Est on se battait pour sa vie, alors qu’à l’Ouest c’était quand même beaucoup moins évident et nombre de soldats comme de civils se disaient de plus en plus que se rendre aux américains serait toujours mieux que ce qu’ils vivaient.
Se rendre aux russes était tout bonnement impensable…

 Les effets de cette propagande n’eurent pas les effets escomptés, ce qui marqua d’ailleurs assez significativement la perte d’influence de Goebbels qui pourtant avait réussi à s’imposer au sein d’un diabolique quadriumvirat (Himmler, Bormann, Speer et donc Goebbels) autour d’Hitler pour s’accaparer le pouvoir, conséquence de l’attentat du 20 Juillet.
Seulement voilà, il se trouve que cela ne fonctionnait plus…non pas que le peuple ne craignait pas les russes, loin s’en faut, mais les raisons sont à aller chercher, pour une fois dans cette tragique et interminable folie barbare, du côté de la raison et de la rationalité !!

Les rapports du SD (le service de renseignement du Reich, l’espionnage intérieur en somme) qui arrivèrent au siège du parti au cours des jours qui suivirent allèrent tous dans le même sens.
Les lettres que s’échangèrent les gens, les civils comme les militaires, confortaient également le contenu de ces rapports.
Ces derniers disaient en substance :


                Oui les russes se sont comportés comme des animaux, mais il ne faut pas faire tant de bruit pour si peu. Pour une trentaine de morts on monte des films, des informations, alors que c’est par centaines de milliers que nos soldats se font tuer presque quotidiennement !

Cela était déjà un premier signe de la distance qui s’installait entre la population et l’appareil d’état.
La suite est encore plus édifiante :

                Et puis finalement n’ont-ils pas raison de se venger des atrocités que les nôtres ont commises ?
Tous ces juifs qu’on a envoyé se faire tuer à l’Est, tous ces massacres de civils perpétrés depuis 2 ans dans les territoires de l’Est, tout ce que nous avons fait ne mérite-t-il pas que nous soyons punis de cela ?
Les juifs sont des êtres humains après tout…(NDLA : Contrairement à ce qu’affirmaient les idéologues du parti, Hitler et Rosenberg en tête)

Ceux qui disaient ça n’étaient pas des SS actifs dans les Einzatsgruppen, ils n’étaient pas non plus dans la confidence de la solution finale qui était un secret d’état. ..
Et pourtant lorsque je pris conscience de cela je pris une bonne claque !

En effet depuis des années je me demandais jusqu’à quel point la population savait de quels crimes innommables s’étaient rendus coupables leurs dirigeants mais également leurs proches (il faut savoir que  tout le monde ou presque avait un parent dans la SS ou l’armée, ou en avait eu un…).

Et bien une partie des réponses que je cherchais se trouvaient là, sous mes yeux !
La population avait donc bien conscience qu’Hitler et ses sbires avaient mis leurs menaces à exécution et qu’ils avaient bel et bien perdus leurs âmes en se rendant complices de ces crimes.
Le peuple savait qu’ils faisaient partie d’un peuple génocidaire…et acceptait la sentence.

Goebbels nota dans son journal que la sauce ne prenait pas, si vous me passez l’expression, que la propagande au sujet de Nemmersdorf ne fonctionnait pas et que les ressentiments à l’encontre du parti devenaient chaque jour un peu plus exacerbés.

Les habitants de Prusse-Orientale étaient entre le marteau et l’enclume, pris entre deux fous sanguinaires, victimes expiatoires de la folie vengeresse des Russes autant que victimes absurdes de l’appareil répressif nazi.

Durant 12 années la propagande n’avait cessée de déverser des monceaux de mensonges, d’ignominies, d’absurdités envers les Juifs, les Slaves, les communistes. Lire les journaux officiels de l’époque est très éprouvant, mais permet de réaliser à quoi fut confronté chaque allemand durant ces 12 années d’enfer.
12 ans qui façonnèrent l’état d’esprit du peuple de telle manière qu’il fut enthousiaste à l’idée d’exterminer Juifs et Slaves, 12 ans qui modifièrent totalement le système de valeur que l’on partage entre êtres humains.
12 ans qui permirent de faire accepter l’inacceptable….

Et pourtant en cette fin 1944 la prise de conscience était bel et bien là et l’idéalisme n’était plus grand-chose.
Finalement les Russes, s’ils étaient considérés comme des bêtes sauvages, n’étaient plus vraiment inférieurs, ils devenaient même des frères de martyr si on veut verser dans l’imagerie religieuse ! 

Je fus frappé lors de l’étude de cet évènement de constater à quel point c’est la lucidité qui dominait dans ces rapports du SD.
J’eus également l’impression que le fanatisme n’était plus, qu’un vague sentiment de honte, ou au moins d’inconfort, montait, de même que la résignation de devoir faire face à la vengeance.
Comme s’il était possible d’expier ses fautes en se sacrifiant aux vainqueurs….

De cela on peut tirer pas mal de conclusions comme le refus absolu du fanatisme, l’absurdité de la guerre et surtout le non-sens absolu qui réside dans la loi du talion, mais personnellement j’en tire deux enseignements majeurs :
Le premier est le degré de connaissance qu’avait la population allemande des faits qui se déroulèrent à l’Est entre 1939 (en Pologne puis en Russie, Ukraine, Biélorussie, Lituanie etc. à partir de 1941) et 1945. Le peuple savait et s’il fut plus simple de dire qu’ils furent des complices indirects et silencieux, il me semble que la vérité est un peu différente et qu’ils furent certes silencieux pour la plupart, ils validèrent néanmoins ces actes inimaginables. En effet s’il était impossible de se soulever contre le régime, rien n’obligeait non plus à glorifier l’action soi-disant civilisatrice que mena le gouvernement et l’armée comme ce qu’on lit dans de nombreuses, trop nombreuses, lettres échangés entre soldats et civils ou entre les civils eux-mêmes. La complicité est, selon moi, un peu plus que silencieuse et obligatoire…
Le second est la démonstration des limites de la propagande, mais également de sa puissance. Si les SS purent commettre autant d’atrocités dans les territoires de l’Est c’est bien le fait de la propagande, mais dès lors que l’état d’esprit général se met à défier l’idéologie officielle la propagande grossière de Goebbels se retrouvait à la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter : un tissu de mensonges ignobles.
Tant que la guerre était gagnable la population jouait le jeu de la propagande, mais lorsqu’il fallut sauver son cul c’est bien à sa raison que chaque allemand se raccrocha…

Cette raison qui eut pu changer le cours de l’histoire mais qu’ils préférèrent abandonner pour suivre une bande de criminels et de racistes enragés menés par un « démagogue de Brasserie à demi-cultivé ».
Ce peuple qui engendra nombre de penseurs, de philosophes, de savants, d’artistes abandonna l’intelligence le temps d’une grosse décennie…on ressent toujours aujourd’hui les répliques de ce séisme.

Il est confortable de se laisser dicter sa pensée, du moins je l’imagine, mais cela n’est pas sans conséquences et lorsqu’on décide de reprendre possession de son cerveau, il est souvent trop tard.

Ce fut le cas en cet automne 1944…La guerre allait pourtant durer encore 7 mois !



05/02/2013
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