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Le bâtiment numéro 8

J'ai toujours eu un rapport ambigu avec la religion. Je dis bien la religion, pas Dieu, c'est différent.

L'histoire d'une grande partie de l'humanité est liée avec celle des trois grandes religions monothéistes. C'est indéniable, et même les civilisations qui n'avaient au départ rien à trouver dans l'objet religieux, ni à voir avec les religions ont vu leur destin marqué par elles.

En Amérique centrale, au nom de dieu et guidés par les préceptes religieux catholiques, les espagnols et les portugais ont évangélisés à grands coups de sabres dans la gueule ceux qu'ils appelaient les « sauvages ». Quelle arrogance. On peut parler des croisades, des colons israéliens, de l'inquisition catholique, de la Saint-Barthélemy, du 11 Septembre, des conflits en Irlande du Nord , bref de toutes les monstruosités commises au nom de dieu.

Quel gâchis.

 

Néanmoins nier l'apport structurel apporté par les textes religieux dans notre monde serait malhonnête. Mais combien de massacres pour une avancée ? Je ne saurai comptabiliser pour tout vous dire, mais je doute que la colonne crédit soit plus longue que celle des débits…Toutefois ça peut être intéressant à faire.

 

Les dix commandements peuvent être, en substance, considérés comme une sorte de code civil de l'époque. De même que dans les évangiles lorsque Jésus s'oppose à la lapidation de Marie-Madeleine en décrétant que « celui qui n'a jamais pêché jette la première pierre », n'est rien d'autre que l'abolition de la lapidation des femmes adultères encore en vigueur dans les communautés juives de l'époque.

Lapidation remise au goût du jour 500 plus tard par le Coran, soit dit en passant.

Mais bon, ce que je tiens à dire est que la religion m'est toujours apparue comme un formidable objet historique, et si aujourd'hui je n'en vois plus l'utilité, il reste en nous de manière intrinsèque des comportements qui furent récupérés par les religieux de tout poil.

Par exemple l'idolâtrie qui est une figure commune aux 3 religions monothéistes peut être vue comme étant désormais remplacée par la télévision. Cet objet autour duquel on se rassemble, qui guérit les maux, et guide les actes.

 

Je fais volontairement des raccourcis car ce préambule n'est là que pour exprimer mon approche, donc ambiguë, de la religion. Intéressé mais pas dupe, curieux mais pas naïf, et surtout critique. Evidemment critique.

 

Mais si la religion est le fait des hommes, elles s'appuient toutes par définition sur le sacré, sur le surnaturel, sur celui qu'ils appellent Dieu.

Un théologien (dont j'ai oublié le nom ce qui n'est pas étonnant, j'ai une mémoire de poisson-lune et ne retient ni les visages ni les noms seulement les idées ça prend moins de place) résumait la croyance en dieu sous la forme de 3 affirmations.

La première : « Dieu existe et j'y crois ». C'est ce que dira le croyant.

La seconde : « Je ne sais pas si dieu existe donc je ne peux croire à ce dont je ne suis pas convaincu », c'est l'agnostique qui dira ça.

Et enfin « Dieu n'existe pas je n'y crois pas », sera la phrase de l'athée.

 

Jusqu'à il y'a peu de temps je me définissais moi-même comme agnostique. D'une part je trouvais le mot plus joli qu'athée, ou du moins plus « savant », et d'autre part il subsistait une part de doute que je ne pouvais nier.

Or je suis définitivement athée. Sans condition ni exception, je suis athée, c'est ainsi, je n'y crois pas et je le sais depuis toujours en fait. J'ai voulu croire à des choses, mais en fait non… ça ne marche pas.

Cela est d'autant plus pratique pour pouvoir être critique (au sens premier du terme) envers les textes et les pratiques religieuses.

 

J'ai rencontré un jour un type fascinant. Algérien, Kabyle, militant d'extrême gauche, érotomane et catholique..ça fait beaucoup!
Ce monsieur, d'une culture phénoménale était un véritable puits de savoir, et j'aimais passer des soirées entières à refaire le monde en sa compagnie. Un personnage rassemblant autant de paradoxes était forcément d'une complexité que j'aime retrouver chez mes contemporains.

Bon il faut dire en plus qu'il était alcoolique alors quand j'arrivais avec une bouteille de Tequila sous le bras il pouvait nous arriver d'atterrir sur des terrains plutôt glissants et sur lesquels nous nous vautrions goulûment et sans aucune gêne.

 

Il était catholique mais pas dénué de sens critique face à la religion catholique et la chrétienté en général. Il avait lu les évangiles, le coran et avait une fascination parfois étrange pour le judaïsme. Se péter la gueule à la tequila ou au whisky en parlant de dieu est une chose à vivre une fois dans sa vie.

 

Pour la petite histoire c'est lui qui m'a fait découvrir Khalil Gibral et toute la poésie moyen-orientale, monument incroyable de beauté et d'intelligence.

 

Et c'est ici que nous arrivons au cœur de mon propos si je puis dire. Je lui ai en effet demandé un jour quelle était sa définition de dieu, à lui, pas celle des livres, mais comment lui, ce vieil anarchiste pétri de religion et de piété ?

 

Il m'a donné sa réponse sous la forme d'une histoire. Cette histoire la voilà :

 

« La scène se passe en 1944, en Novembre, dans le terrible camp d'extermination d'Auschwitz. Le ciel polonais est rarement, très rarement, radieux, mais ce jour-là la pluie et les épais nuages noirs rendent l'ambiance encore plus triste et mortifère que d'habitude. Les dizaines de baraquements alignés en rangs d'oignons où s'entassent hommes, femmes et enfants attendant une mort certaine ressemblent enfin à ce qu'ils sont, des cercueils hors de terre.

Les SS ont réussi à prendre à chacun des prisonniers une partie de lui-même. Les médecins ne le sont plus, les avocates non plus, chacun est devenu une enveloppe d'os et d'un peu de chair qui n'a même plus la force de pleurer. Seuls les enfants semblent avoir conservé, parfois de manière éphémère, un peu de leur magie.

Ils sont là car ils sont de religion juive, ils sont condamnés pour avoir cru en un dieu qui semble les abandonner. Et ce dieu n'est pas le même que les SS, qui eux-mêmes se réclament appartenir à la cohorte des chrétiens.

Cet après-midi là le rideau de pluie est si dru que derrière la fenêtre sale du bâtiment 8 Gilda ne discerne même pas le bâtiment voisin pourtant proche d'une petite dizaine de mètres.

Les baraquements sont remplis selon des critères monstrueusement pragmatiques qui annoncent la proximité de la mort qui les attend.

En arrivant au camp les femmes, les hommes et les enfants sont séparés. Les plus vaillants iront aux travaux forcés jusqu'à épuisement tandis que les autres passeront directement à la case « chambre à gaz ».

Gilda avait ainsi retrouvé son époux lors de son dernier transfert et vivre dans un baraquement mixte indiquait que la prochaine étape serait la mort.

Était-ce une perversion de plus de la part des nazis ou bien un dernier sursaut d'humanité de leur part permettant à ceux qui s'aiment de mourir ensemble ? Peu importe au final, la proximité de la fin, Gilda en avait connaissance et son seul espoir désormais résidait dans le fait qu'elle ne reverra plus jamais son fils, Simon, gardant l'infime espoir qu'il sortirait vivant ou serait suffisamment fort pour résister jusqu'à la fin de cette folie qui embrasait l'Europe entière.

 

Sigismund, son époux, la prit par la taille et la regarda en souriant tristement. Cette taille qu'il avait étreint tant de fois au temps du bonheur simple de vivre comme un humain, et qui désormais ne se dessinait même plus sous ses doigts, remplacée par des hanches aiguisées sous la maigreur de sa femme.

Elle répondit à son sourire et tourna de nouveau le regard vers l'extérieur.

C'est alors qu'elle vit Simon qui semblait jouer avec un petit garçon qu'elle ne connaissait pas.

Jouer était évidemment proscrit et violemment réprimé par les gardes, son cœur se mit à s'emballer et ses mains trembler en regardant la chair de sa chair prendre tant de risques sans même en avoir conscience.

Simon avait 5 ans. Il les avait eu quelques jours auparavant et l'innocence n'avait été totalement détruite par les traitements inhumains qu'ils subissaient.

Il jouait avec un bâton à faire des ronds dans la boue et à sauter dedans à tour de rôle avec son petit camarade. La pluie effaçant presque instantanément les traces laissées par le bout de bois, les deux enfants riaient en tentant de devancer la nature, oubliant pour un instant les privations et la douleur.

Ce sont certainement les rires qui alertèrent les gardes, les deux enfants avaient du échapper à leur vigilance car aucun d'entre eux n'étaient autorisés à se trouver à cet endroit et à ce moment.

Deux SS, furieux de s'être laissé berné par ces tout jeunes enfants, s'enquirent alors de les attraper, et s'avancèrent vers eux en courant.

Devant ces monstres flous et balayés par la pluie, les enfants ne prirent pas peur, au contraire, pris dans leur euphorie fugace ils se mirent à rire à pousser des cris stridents tout en tentant d'échapper à leur chasseurs.

Des jeux d'enfants auxquels jouent tous les enfants de la terre…

Gilda sentit ses jambes se dérober et sans l'assise que lui offrait Sigismund elle se serait sans doute évanouie, mais elle ne pouvait détourner son regard du macabre spectacle.

Sigismund restait sans voix, serrant la main de sa femme si fort que ses phalanges privées de sang semblaient aussi blanches que la neige la plus pure. Celle qui parfois camoufle cet enfer au cœur de l'hiver.

Ils étaient pétrifiés devant la scène ou l'innocence et la monstruosité se mêlaient.

Plus les enfants courraient et riaient, plus les nazis hurlaient de fureur, glissant dans la boue les yeux injectés de sang et de haine.

 

Gilda murmurait : « mon fils » en boucle, comme si elle ne pouvait hurler son chagrin, comme si elle était déjà morte.

Sigismund sentait monter ce qui lui restait de colère face à l'abjection dont il était témoin.

 

Au détour d'un virage mal négocié, le plus grand des SS réussit à attraper Simon. L'enfant compris instantanément que ce n'était plus un jeu et son visage plein de la lumière de ses rires devint livide de terreur lorsque le barbare lui prit le bras pour le soulever 50 centimètres au dessus du sol, l'agitant et le secouant comme une proie en riant bruyamment.

 

Si le rire d'un enfant à Auschwitz était le dernier son d'humanité qu'ils pouvaient entendre, celui des SS était synonyme de violence, d'horreur et de mort.

 

Tenant l'enfant d'une seule main, le soldat sortit son arme de son étui puis plaça le canon sur la tempe du petit garçon.

La détonation résonna longtemps dans les bois alentour et la tête de l'enfant explosa littéralement dans une gerbe de sang de chair et de fragments d'os.

Il jeta le corps à terre et lui donna un violent coup de pied comme pour se venger d'avoir été humilié par ce petit juif.

 

Gilda s'écroula et resta prostrée à terre, sous la fenêtre, elle tremblait mais son visage ne pouvait même pas marquer sa douleur. Comme si la vie l'avait abandonnée mais que la mort n'en voulait pas. Un rictus, mélange de douleur et d'apaisement, barrait son visage émacié. Il semblait dire qu'elle abandonnait, sa dernière raison de survivre à tout cela venait de mourir d'une balle dans la tête. Son amour, son fils, sa vie, plus rien n'avait de sens.

Sigismund serra les poings de colère et ses sourcils broussailleux venaient se rencontrer entre ses deux yeux. Pourquoi ? Pourquoi cela arrivait, pourquoi la barbarie avait gagnée ?

Il leva les yeux au ciel et la voix chevrotante de ses larmes qui avaient disparues depuis longtemps il s'écria « Pourquoi ? Pourquoi n'as-tu pas sauvé mon fils ? Il est innocent ! Il l'est encore plus que nous tous ! Pourquoi mon dieu ? Qu'ai-je fait pour mériter ça…Pourquoi ne l'as-tu pas sauvé ?? »

Une lumière chaude se concentra en un faisceau diaphane et enveloppa l'homme qui, surprit, ne dit plus un mot.

Une voix douce vint jusqu'à lui et lui dit « Je ne pouvais pas le sauver car au même moment j'avais deux SS qui me courraient après... ».

 

Puis la lumière disparut.

Il ne resta aucun survivant du bâtiment 8 du camp d'Auschwitz qui s'y trouvait ce jour de Novembre 1944. »

 

Cette histoire fut pour moi la meilleure définition de ce que « dieu » est finalement. Je sais quelle en fut ma conclusion…chacun, je crois, peut y trouver quelque chose. Et je ne vous ferai pas l'affront de vous expliquer ce que j'y ai compris.

 

Bonne journée.



14/10/2009
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