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La transmission

Voilà 18 jours désormais que le foyer s’organise autour d’Alexis qui est né le 27 Mars 2011 à 7h07. L’accouchement fut si rapide que je n’ai même pas eu le temps de m’angoisser d’un quelconque problème médical tant pour Constance que pour Alexis. Je leur en sais infiniment gré à eux deux, j’ai ainsi évité à mon ulcère de s’aggraver, c’est toujours ça de gagné ! En 18 jours ma petite crapule aux grands yeux bleu foncé a pris plus de 700 grammes et 5 centimètres….impressionnant. J’aime bien les chiffres alors je me suis amusé à rapporter ce gain en pourcentages, et bien c’est encore plus impressionnant : il a augmenté sa masse de 25% et sa taille de plus de 10 %. Faut qu’il en profite ça ne sera pas le cas si souvent… c’est flippant mais laissons les chiffres de côté je vous prie. Merci.

Donc notre petit champion est semble-t-il en avance. Je n’en tire aucune fierté finalement, ce que je veux est qu’il soit heureux, qu’il sente qu’on l’aime de manière indéfectible et formidable, qu’il mange bien et que surtout il ne souffre pas trop en digérant. Je connaissais un peu les bébés, faut pas déconner, mais jamais je n’avais vécu 24 heures sur 24 avec un des leurs, et à fortiori avec mon enfant. Et bien je suis épaté par le bordel qu’il fout. Oh il ne pleure pas, non pour ça il est top. Enfin, si il râle un peu quand il a la dalle et qu’il estime que le sein de sa mère met un peu trop de temps à arriver jusque dans son bec, et également lorsqu’il tente de nous dire que le cul à l’air pour changer la couche c’est bien, mais faut pas non plus que ça traîne trop. D’ailleurs le petit salopiaud adore me regarder fixement, étendu sur la table à langer, agrippant mon regard pour le détourner de sa ceinture pendant qu’il se met soit à chier en spray une sorte d’excréments plus proche de la moutarde à l’ancienne que du caca commun, soit à uriner allègrement et ainsi flinguer pour la 12ème fois de la journée son body et son pyjama venant ainsi grossir le flot interrompu des lessives. Soit les deux en même temps. Le tout, bien entendu, en pédalant frénétiquement dans le vide histoire de projeter un peu partout ces déchets organiques qui semblent faire sa fierté. C’est le jeu, de toute façon c’est lui qui est pénalisé parce qu’une fois qu’il a tout salopé, il faut bien le changer et c’est autant de temps en plus à passer sur la table en question. Mais bon, ça semble l’amuser et je ne vais pas non plus brider la créativité de cet enfant ! S’il pouvait simplement éviter à 4 heures du matin je suis preneur. Donc il aime partager sa matière fécale avec ses parents, pourquoi pas ? Mais ce qui m’impressionne le plus est la quantité de bruits qu’il peut produire. Des petits bruits de bouche, des soupirs, des grognements inhérents à un pet retord etc. Ah oui parce qu’en plus d’être un champion du jet de merde il est également d’une incroyable dextérité intestinale ce qui lui confère une capacité à lâcher des caisses qui force l’admiration….je n’avais encore jamais vu ça.

Vous l’aurez compris, ces deux dernières semaines furent pour le moins « organiques » pour Constance et moi-même. Par exemple à l’heure ou j’écris ses lignes il est paisiblement endormi dans son couffin mais ne cesse pas pour autant d’expulser gaz et matières diverses dans un fracas indescriptible….du moment que ça le soulage, moi ça me va. Il grandit vite ce bonhomme, très vite, il a même trouvé son pouce depuis hier, et chaque jour il devient plus éveillé encore que la veille. Le bonheur, c’est vraiment le bonheur…Néanmoins ce matin je me pose une question : Que pourrais-je lui répondre lorsqu’il me demandera ce qui se passait sur terre lors de sa naissance ? Il faut dire que j’ai le choix…voire l’embarras du choix ! Je sais que normalement j’ai le temps avant d’arriver à cet instant où, petit être doué de conscience et de raison il cherche à trouver sa place dans le monde, néanmoins le rythme auquel il évolue m’amène à me poser dores et déjà la question.

Je pourrais lui dire que 16 jours avant sa naissance le Japon a vécu la plus effroyable catastrophe naturelle de son histoire, ce qui entraîna la destruction partielle d’une centrale nucléaire. Le problème est que je ne sais pas à l’heure actuelle quelles seront les conséquences de Fukushima. Car ça n’est pas terminé, loin de là, et ce même si désormais c’est à la rubrique « faits divers » des journaux qu’on peut trouver quelque information sur le sujet et que finalement on n’en parle pas plus que ça parce que quand même on a d’autres chats à fouetter. Je pourrais également lui dire que les pays arabes se soulèvent, que l’extrême droite au pouvoir dans l’hexagone dévoile son vrai visage, que la France n’en finit plus de se comporter en colon en Afrique et même que Nicolas Hulot est candidat à l’élection présidentielle ! Nan, je ne lui parlerai pas d’Hulot, ou alors au cinéma filmé par Jacques Tati. Il n’aura qu’à rechercher lui-même quel fut le paysage politique français à l’époque où la démocratie était encore en vie et que le chaos et la folie n’avaient pas entièrement ravagé les esprits. Ce qui devrait arriver d’ici un ou deux ans si tout se passe bien et que le temps le permet. De toute façon si on va vers un duel entre fachos pour 2012 on se casse du pays. On va au Québec ou en Finlande, c’est décidé. Faut pas déconner non plus…Néanmoins lui parler de tout ça est risqué. En effet comment parler de Fukushima Daïchi sans évoquer Hiroshima et Nagasaki ? De fait il faudra expliquer les raisons qui poussèrent les hommes à lancer une bombe atomique sur des populations civiles, et le fait que le monde entier s’en est remis à ces hommes là pour diriger la planète. Il me faudra raconter pourquoi les pays arabes subissent depuis des décennies les secousses en provenance de l’occident et que ce qui nous inacceptable ne l’est absolument pas dans ces pays là. Comment lui dire que finalement le monde dans lequel il vit est assez cynique pour ne pas voir qu’un dictateur sanguinaire en est un ? Comment lui raconter la realpolitik, lui dire que « nécessité fait loi » ? J’en ai des migraines à l’avance.

Et puis personne ne sait quelles seront les conséquences des conflits en cours, de l’élection de 2012 ou de cette immonde centrale qui est en train de fondre entraînant la destruction lente mais inéluctable de l’environnement de moins en moins proche, je vais avoir besoin de quelques bases solides pour les lui offrir afin qu’il puisse lui-même construire sa réflexion. Ce qui m’amène une fois de plus à considérer ce qui a conditionné de manière irréversible nos sociétés depuis 1945. Je sais que ça peut sembler virer à l’obsession mais il se trouve qu’à peu près tout ce qui régit nos vies et nos systèmes sont l’héritage direct du second conflit mondial d’une part et de la shoah d’autre part. Et puis mon histoire, donc celle de mon fils, est intrinsèquement liée à ces évènements. A un moment il posera des questions et bien qu’il sera certainement compliqué de trouver les mots appropriés pour qu’un enfant puisse saisir l’essentiel, il est de mon devoir de pouvoir lui expliquer le ghetto de Varsovie et le massacre de ma (sa) famille. Pas simple mais je n’y couperai pas.  Car parmi la multitude d’évènements majeurs qui sont en cours actuellement il en est un qui passe plutôt inaperçu et c’est fort dommage. En effet voilà exactement 50 ans se déroulait à Jérusalem le procès d’Adolf Eichmann. En quoi ce procès marqua-t-il un tournant historique si important ? Pourquoi y a-t-il un avant et un après procès Eichmann ?

Tout d’abord il est intéressant de noter que l’ensemble des instances internationales est la conséquence de la seconde guerre mondiale. L’ONU, la banque mondiale, le FMI, le GATT puis l’OMC sont autant d’instances conçues pour prévenir un autre conflit mondial. Une fois sorti de la guerre il fut admis que ce conflit fut la conséquence de la crise financière de 1929. Dès lors on s’est dit que si toutes les économies étaient interdépendantes nous éviterions des désastres identiques. L’idée est simple et relativement bonne, néanmoins cette mondialisation si elle a permis la stabilité de l’occident durant plus d’un demi-siècle, nombre de conséquences plus problématiques ont vu le jour. La principale étant bien entendu l’accroissement des inégalités. C’est d’ailleurs ce point précis qui risque de plonger prochainement notre civilisation dans le chaos. Mais c’est un autre sujet. A cette époque, si mes souvenirs sont bons, la Cour Pénale Internationale (CPI) n’est pas encore constituée. C’est le Tribunal Pénal International (TPI) qui se muera en CPI via l’application du traité de Rome. Je ne suis pas juriste et de fait je ne saurais expliciter les nuances techniques qui sévissent entre ces deux institutions, mais une chose est claire : ce tribunal fut créé pour répondre à un cas tout à fait nouveau à savoir le crime contre l’humanité. Je me suis toujours demandé si Genghis Khan ou Napoléon n’auraient pas du être jugés par de tels tribunaux ? Passons.

Il se trouve que si la notion de Crime contre l’humanité date de la découverte des camps de concentration Nazis, il est étonnant de noter comme l’humanité se l’est immédiatement appropriée. Depuis 1945 un certain nombre de criminels furent traduits devant la CPI, mais il faut également noter que les juridictions nationales se sont également arrogées le droit de juger de tels méfaits. Si l’on ne prend que le cas de la France chacun se souvient des procès Barbie, Touvier ou bien encore Papon. Mais des procès de ce genre eurent également lieu dans la majorité des pays ayant été victimes de la barbarie nazie. Le procès de Klaus Barbie est assez significatif dans la mesure ou c’est un citoyen allemand qui était jugé par une juridiction française. Soit dit en passant, et ça n’apporte rien au propos mais enrichit un peu l’histoire de ce procès, il est intéressant de noter les raisons qui ont empêché la tenue de ce procès bien avant les années 80. Barbie ayant été recruté par la CIA à la fin de la guerre l’agence lui offrit une protection bienvenue dès lors qu’il fut identifié et localisé par les chasseurs de nazis, Serge Klarsfeld en tête. Afin de combattre la menace communiste la CIA employa nombre d’anciens nazis qui purent exporter leur savoir-faire aux dictatures d’Amérique du Sud comme par exemple en Argentine ou bien au Chili. Ce pan de l’histoire est tout bonnement effroyable, mais on pourra y revenir plus en détail si le cœur nous en dit.

Revenons à nos moutons : Une instance supranationale est créée pour juger les crimes contre l’humanité, néanmoins des procès de ce genre se tiennent un peu partout en Europe à partir des années 50. Partout sauf en Allemagne. Lors de la capitulation en 1945 le processus de dénazification fut enclenché par les alliés. Les américains en particulier y attachèrent une importance fondamentale, un pré requis à l’équilibre de l’Europe et qui conditionnait de facto la distribution des aides massives du plan Marshall. Or une bonne partie de l’Allemagne était encore fortement convaincue du bien fondé des thèses nazies. Mais la réconciliation nationale exigeait malgré tout que des procès se tiennent à travers le pays pour juger les responsables de la catastrophe. Au final si ces procès purent se tenir les peines prononcées étaient souvent minimes voire symboliques dans de nombreux cas. Ça n’est en aucun cas faire injure à l’Allemagne que d’ériger ce constat, mais il y a fort à parier que l’acharnement de la justice française à traquer et vouloir juger Barbie n’aurait pas été équivalente en Allemagne. En gros pour pouvoir condamner justement ces hommes il valait mieux qu’ils soient jugés hors d’Allemagne. Les allemands fondamentalement anti-nazi le savaient pertinemment et c’est ce qui permis la tenue du procès dont on « fête » le 50ème anniversaire en ce mois d’Avril 1961 à savoir le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem.

Ce procès est un tournant dans l’histoire de la justice ainsi que dans celui d’Israël. Jusqu’à preuve du contraire Israël n’existait pas lorsque la Shoah eu lieu. Juger un criminel nazi sur le sol Israélien pouvait alors paraître pour le moins incongru, sinon moralement du moins légalement. Or ce procès est plus qu’un procès, il est un symbole. Lors des procès de Nuremberg la question du génocide des juifs fut un élément parmi d’autres, de plus ce furent les conséquences directes ou indirectes de la guerre qui ont été jugées en priorité, même si le complot fut néanmoins retenu ce qui peut nous faire dire qu’en plus des conséquences du conflit se sont également les causes qui furent jugées. Les crimes contre l’humanité furent retenus bien entendu. Contre l’humanité, en aucun cas contre le peuple juif. Cette nuance est importante car lors du procès d’Eichmann fut introduite cette notion de crime contre le peuple juif. On peut être ou non d’accord néanmoins on traduisait bel et bien devant la cour un homme dont la tâche avait été, au cours des 12 années que dura le régime Hitlérien, de débarrasser le Reich des Juifs. Rien de plus, rien de moins. Eichmann n’avait pris aucune part dans la machine de guerre Allemande. Et si ses activités et les moyens dont il disposa au cours de ces années étaient rythmés par la chose militaire et la guerre il n’en était absolument pas partie prenante. Le procès se tint à Jérusalem, ville symbole s’il en est. On voulait juger un monstre mais on ne trouva qu’un homme dans la cage de verre qui trônait au milieu de la cour. Mais au-delà même de qui on jugeait, c’est surtout pourquoi on le jugeait qui me semble fondamental. Avant 1961 les rescapés des camps qui vivaient en Israël, et comptaient environ pour les 2 tiers de la population, étaient souvent méprisés. Au mieux on ne croyait pas ce qu’ils disaient, au pire on les moquaient ou les négligeaient. De fait le silence commençait à se faire loi et finalement ce que les nazis n’avaient pas réussi à faire car ils étaient encore vivants, leurs compatriotes s’en occupaient, à savoir les réduire au silence. Or au cours de ce procès l’engouement et l’intérêt populaire Israélien pour l’évènement pris une ampleur insoupçonnée et, de mon avis, fort bienvenue. Chaque Israélien s’accaparait là une part de cette histoire monstrueuse. Au-delà même des citoyens Israéliens, chaque juif se sentait enfin possesseur d’un pan de l’histoire ! Les choses ne furent plus jamais les mêmes après ce procès. Pour personnes, les juifs comme les non juifs. Et ce de manière bien plus éclatante que lors des procès de Nuremberg. La richesse des enseignements de ce procès est telle que nous ne pouvons l’aborder en profondeur ici. C’est pourquoi je ne saurais mieux conseiller de lire le livre d’Hannah Arendt sur le procès et qui s’appelle « Eichmann à Jérusalem – rapport sur la banalité du mal ». De même que les livres de Raul Hilberg sur la destruction des juifs d’Europe, véritable bible à quiconque veut en savoir plus et tenter de comprendre cette histoire récente.

L’histoire du monde montre de quelle manière les juifs furent persécutés quelles que furent les époques et les dominants du moment. Néanmoins aucune persécution, aucune folie ne fut comparable avec ce que les allemands entreprirent à cette époque. Il ne reste plus beaucoup de témoins de cette époque, nous n’avons plus un seul dirigeant qui ait vécu cela et qui puisse s’en référer honnêtement. Je crains que la mémoire ne s’efface petit à petit, que le souvenir de ces atrocités s’estompe et que d’une manière ou d’une autre, les conditions pour que cela soit de nouveau possible soient de nouveau réunies.

Je ne sais quand, ni comment je raconterai ça à mon fils. Je ne sais s’il saisira qu’une grande partie de sa famille a péri dans les camps nazis au prétexte qu’elle était juive. J’ignore la manière dont je transmettrai cette part de l’histoire et de mon histoire. Mais il est indispensable que la mémoire perdure car voilà 80 ans la civilisation failli ne jamais se relever des chimères qu’elle créa elle-même et je ne vois absolument aucune raison pour que cela soit nié ou minimisé. Quitte à passer pour un dangereux psychotique obsessionnel, peu importe. Je lui apporterai également d’autres choses à cet enfant…tant d’autres choses.

D’ailleurs je l’entends qui se réveille, je vais donc lui apporter la chaleur de mes bras, un sourire tout chaud et une couche toute propre !

 

Hasta siempre et bonne journée



16/04/2011
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