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L'oisiveté, le travail et la page blanche

Ahhh une page toute blanche. J’aime les pages toutes blanches. Sur une page toute blanche on peut écrire ce qu’on veut, dessiner ce qu’on veut, on est libre le temps de la noircir.

Mais a-t-on souvent au cours de nos vies d’être face à des pages si blanches que ça ?

Déjà à la naissance les choses sont un peu biaisées. La page n’est pas si blanche que ça si on regarde bien. Naître dans l’opulence d’une famille aisée, cultivée et à la teinte de peau caucasienne n’est pas tout à fait la même chose que de voir le jour au sein d’une famille d’immigrés nécessiteux qui s’entassent dans les barres d’immeubles en périphérie des grandes villes et qui sont la honte des sociétés dites modernes, civilisées et occidentales.

Je n’apprends rien à personne, ou du moins je l’espère…

 

C’est quand même gênant de constater qu’un individu se trouvant dans la seconde situation décrite et qui aurait des capacités intellectuelles bien supérieures à un bébé du premier cas aurait malgré tout devant lui un chemin parsemé d’embûches qu’il devra se fader et surtout ne pas s’en plaindre. Pourquoi me direz-vous ? Et bien quand j’entends Henri Guaino (conseiller spécial du nabot, spécialiste parait-il des questions sociales et qui émarge quand même à plus de 200 000 € par ans, ce qui fait plus que le président de l’assemblée par exemple. Ce qu’on appelle un gaulliste de gauche, je me marre doucement) pérorer que son modèle de république est celui du mérite et en aucun cas de l’égalitarisme je bondis d’effroi ! En l’occurrence j’étais sous la douche et j’ai failli me casser la gueule.

 

C’est bien entendu la république du mérite qui permet à des patrons incompétents de sauter en parachute doré, c’est dans les principes même de la méritocratie qu’un gamin non diplômé peut être pressenti pour gérer le quartier des affaires de la défense…bien entendu.

Alors qu’ils ne viennent pas se plaindre ces pauvres de devoir se battre pour y arriver, c’est la même pour tout le monde !

 

Allez, trêve de cynisme, la page n’est pas blanche pour tout le monde. Moi si je n’étais pas « bien né » je doute que je sois encore là pour le raconter, et ça n’a rien à voir avec un quelconque mérite.

 

J’ai connu des gens qui sont nés avec un brouillon dégueulasse entre les mains, ou il ne restait presque plus une place et qui ont réussi à malgré tout aller ou ils voulaient, mais au prix de quels efforts ?

Parce que j’ai connu aussi un paquet de jeunes crétins sordidement stupides à qui l’on a acheté des diplômes tout au long de leurs études et qui pantouflent désormais en attendant le versement de leurs gros salaires.

Et oui les inégalités sociales ça n’est pas uniquement pour animer les débats avant les élections c’est aussi et surtout une malheureuse réalité.

Et ce n’est pas avec les lutins du gouvernement et de l’Elysée que ça va s’arranger !!

 

Ça me dérange d’entendre des types comme Xavier Bertrand ou Frédéric Lefevre parler du travail comme d’une valeur incontournable. Le travail, le travail, ils n’ont que ce mot à l’esprit…Il a travaillé combien de temps le fils Sarko pour pouvoir prétendre aux fonctions qui lui font faire des tâches gluantes au fond du slip dans un râle de plaisir à peine contenu ?

 

Personnellement je n’ai rien contre le travail, je travaille beaucoup. C’est un choix. Mais en même temps j’ai la chance de faire un job qui me plait. Néanmoins il faut malgré tout accepter le fait que l’homme n’est pas fait pour travailler.

 

Au départ cette affirmation me rendait perplexe. Si, si je vous assure, je me disais « bah peut être mais en même temps faut bien s’occuper ». Première et grossière erreur !! A ma décharge, et à celle de tous ceux qui ont pu avoir cette réflexion : on aborde toujours un problème par le biais de son propre prisme. C’est humain et normal. Or qui dit « Bah faut quand même bien s’occuper » ? Les gens qui ont des activités suffisamment enrichissantes autant matériellement qu’intellectuellement. Je n’ai jamais entendu un ouvrier à la chaîne déclarer une pareille chose.

Parce que s’occuper ça ne veut rien dire en fait…On peut très bien s’occuper en ne faisant rien.

 

Cet été je me suis fadé « le capital », enfin les livres I et II, c’est vachement difficile à lire et assez rébarbatif, néanmoins c’est une mine d’or ! J’y ai compris nombre de choses sur le travail, son vol par une caste réduite, l’exploitation de l’homme par l’homme et sa mise sous tutelle organisée, planifiée et terriblement perverse.

Œuvre majeure de la transition entre le XIXème et le XXème siècle, c’est un pavé, une montagne même…mais bon, ça vaut le coup.

En fait il y’a quelques semaines un ami m’a prêté un petit essai d’une quarantaine de pages intitulé « Eloge de l’oisiveté » de Bertrand Russel. Russel était un philosophe anglais et la première édition de « l’éloge » date de 1932.

En pleine crise mondiale, quelques mois avant le début du drame que nous connaissons tous.

 

Et que dit ce monsieur Russel avec qui j’aurais aimé aller boire des canons. Parce qu’entre nous si Marx est un génie, je pense que ça m’aurait fait un peu chier d’aller me taper la cloche avec lui. Enfin aux dires des historiens qui le dépeignent comme un arrogant imbu de lui-même et coureur de jupons…quoiqu’en même temps on se serait peut être bien entendu quand j’y pense.

 

Mais on s’en fout.

 

Donc que dit en substance ce monsieur Russel ? Et bien il fait littéralement l’éloge de l’oisiveté, il dit que si nous ne travaillions que quatre heures par jour nombre de problèmes seraient résolus. Et surtout le chômage ! En même temps c’est logique, ça s’appelle le partage du temps de travail, j’en étais convaincu avant de lire Marx, Engels ou Proudhon. Avant les 35 heures, et donc avant Russel…CQFD.

 

Moi j’en suis convaincu mais pourquoi donc les libéraux ne le sont pas ? Parce qu’ils perdraient de la pro-duc-ti-vi-té !!! Cons que nous sommes, nous oublions cette belle notion de profits et de productivité !!!

 

Russel a un exemple marrant que je me permets de reprendre non littéralement car le bouquin est chez moi et pas moi…c’est compliqué ne cherchez pas !

Son exemple est le suivant : Le monde a besoin d’épingles.

Avant les machines-outils et le taylorisme le monde avait suffisamment d’épingles. Ces épingles avaient un prix assez juste, permettant d’en faire d’autres qui permettraient de remplacer celles qui se cassaient, mais finalement on ne faisait pas plus d’épingles que nous n’en avions besoin. Enfin un peu plus mais rien de stupide non plus.

Ça se perd une épingle, se casse rarement et s’use peu quand même.

Et puis arrive la révolution industrielle. Celle-là même qui fera d’Engels le penseur génial qu’il fut lorsqu’il visita les sordides quartiers du Londres industriel du début du siècle et la misère lamentable des ouvriers. La révolution industrielle a permit, grâce aux machines, de produire plus, plus vite et à moindre effort.

Revenons à nos épingles. Au lieu de les faire à la main, les ouvriers en charge des dites épingles, les font désormais avec l’aide de machines. Au départ il y’a autant d’ouvriers qu’avant les machines, mais ça ne dure pas car on réalise que l’on peut produire beaucoup plus d’épingles avec beaucoup moins de monde en beaucoup moins de temps ! Génial non ? A moins que ça ne soit stupide, je confonds souvent les deux termes…

 

Donc nous voilà avec un monstrueux stock d’épingles ce qui fait baisser la valeur de l’unité, ruine ceux qui n’ont pas les moyens ou l’envie d’investir dans les machines, et fait faire de gigantesques profits au patron ! Le monde aurait subitement besoin de plus d’épingles qu’avant me direz-vous ?

Ben pas vraiment en fait, c’est là que c’est quand même super con le capitalisme.

Les machines auraient du permettre de libérer du temps de vie aux ouvriers et de les payer autant que lorsqu’ils travaillaient 12 heures car le monde n’avait pas besoin de tant d’épingles.

Mais si on fait ça on sort de la logique productiviste pour sombrer dans l’humanisme de base le plus niais…quelle horreur !

 

Donc la révolution industrielle aurait du être un formidable accélérateur du niveau de vie et de la qualité de vie de millions de travailleurs. Elle fut tout l’inverse. Créant le chômage de masse, donnant un coup de fouet à l’exploitation des hommes par d’autres hommes, et dénigra totalement le travail du faiseur d’épingles…entre autre.

 

En quarante pages à peine Bertrand Russel démontre que l’oisiveté est un droit, voire un devoir. Il dit d’ailleurs une chose très vraie qui est que « l’idée que les pauvres puissent avoir des loisirs a toujours révulsé les riches ».

 

On terminera par un autre court exemple. On prend deux hommes riches. Le premier décidera de faire fructifier son argent, de faire grossir sa bourse en jouant justement à la bourse, en investissant. Le second décide de tout claquer en fêtes et en restos avec ses copains.

Il y’a de fortes chances (le livre est écrit au début des années 30 ne l’oublions pas) que le premier perde sa mise en cas de crise, il y’a une certitude que le second finisse sur la paille.

Mais que dira la bonne société de ces deux individus ? Le premier est un investisseur malheureux, qui n’a pas eu de chance. Le second une feignasse parasite qui n’a eu que ce qu’il mérite.

 

Or le second aura offert de la joie, du plaisir et du bonheur, même fugace, à plein de gens.

 

A méditer.

 

Alors quand on me parle de mérite, de travail, de productivité et de produit intérieur brut, ben moi j’ai envie de boire des coups avec mes copains.

 

Lisez ce petit livre, c’est une merveille.

 

A bientôt pour de nouvelles aventures…et surtout HASTA SIEMPRE !!



02/12/2009
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