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De la complexité d'être civilisé

Il parait que ce qui différencie l'homme de l'animal est le rire. C'est Rabelais qui avait déclaré cela au début du 16éme siècle. Ça date un peu et c'est totalement faux. Les animaux rient, d'aucun disent que certains animaux uniquement sont capable de rire en réaction à une situation, j'aurais tendance à me dire que si certains le peuvent pourquoi tous ne le pourraient pas ? Partons, alors, du postulat que les animaux, en général, rient également. Il y a pourtant bien d'autres choses qui différencient l'homme de l'animal, mais nous touchons à des concepts bien moins glorieux pour les fiers bipèdes que nous sommes ce qui est philosophiquement ennuyeux.

Le sadisme, la perversité et l'égoïsme. Voilà des comportements que l'on ne retrouve pas chez l'animal. (Nb : Si je parle d'égoïsme c'est en opposition à l'empathie, j'ai cherché un moment mais selon tous les auteurs que j'ai consultés il semble bien que l'égoïsme soit le contraire de l'empathie. Personnellement j'aurais parlé de générosité comme l'inverse de l'égoïsme, mais ne nous arrêtons pas à des considérations bassement syntaxiques et faisons avancer notre propos….sinon on ne s'en sort pas !). Je pense même sincèrement que si la cruauté fait partie intégrante du règne animal, les animaux ne le sont pas. Du moins pas comme nous pouvons l'entendre. On dit souvent que la nature est cruelle, c'est  une interprétation inhérente à notre propre compréhension du monde. Lorsqu'une mère va laisser mourir un de ses petits car il est faible et n'a donc que peu de chance de survivre par la suite, cela nous semble incroyablement cruel. Il n'en est rien, c'est l'instinct de conservation qui joue à plein dans cette situation, le résultat est dur, nous pouvons effectivement dire cruel, mais il n'y a aucune volonté de faire souffrir, simplement un instinct qui nous dicte à tous la même chose : perpétuer l'espèce.  

Maintenant posons-nous la question de savoir ce qui différencie le salaud de l'humain banalement civilisé ? J'ai envie de dire le sadisme, la perversité et l'égoïsme. Et c'est assez rassurant. Prenons un exemple très récent et qui est la pathétique fuite précipitée de Ben Ali le mois dernier. Ce type, ayant dirigé la Tunisie durant des décennies d'une main de fer gantée de barbelés, il nous est très simple d'éprouver de la colère à son encontre. Elle est saine et, rassurons-nous un peu, n'est pas l'apanage des salauds. Hier était relatée, avec force détails, dans le Nouvel Observateur, la façon dont se sont déroulés les faits. Voici un court extrait de l'article tel que je l'ai repris sur le site Internet du journal :

« Il refuse de monter dans l'avion. Sur le tarmac de l'aéroport de Tunis, il résiste, se tord les mains, serre sa petite mallette noire, son seul bagage, essaie de rebrousser chemin vers la Mercedes noire qui vient de le déposer. Il supplie : "Laissez-moi, je ne veux pas y aller, je veux mourir ici dans mon pays." [...]

Ce vendredi 14 janvier à 17 heures, alors que la révolte gronde dans les rues de la capitale, Ben Ali ne veut pas partir. Il gémit, hagard. "Bordel de Dieu ! Tu vas monter !" C'est Ali Seriati, l'homme de l'ombre, le redouté chef de la police politique, compagnon de Ben Ali depuis trente ans, qui le bouscule et l'oblige à gravir les marches en jurant.

Aucun des militaires qui font cercle autour du petit groupe composé du président, de sa femme Leïla, de leur fils Mohamed, de sa fille Halima, du fiancé de celle-ci, du majordome Moustafa qui a tenu à les accompagner et de deux employées de maison philippines, n'a osé toucher le président. Avec la langue fleurie qu'elle affectionne, Leïla rudoie ce mari hébété dont les jérémiades l'exaspèrent maintenant qu'il a perdu son pouvoir : "Monte, imbécile, toute ma vie, il aura fallu que je supporte tes conneries !" ...

Ali Seriati et Leïla Trabelsi….voilà de bien sympathiques personnes dites-moi ! Le roi est nu, le roi est faible….le roi est déchu. C'est une victoire populaire, de la volonté indéfectible du peuple au changement. Ben Ali n'hésita pas à faire torturer des milliers d'opposants politiques. Il spolia la population dans son ensemble et mit en place un système mafieux qui phagocytait chaque ressource de ce beau pays qu'est la Tunisie. A priori le réflexe qui consiste à se satisfaire de sa chute est normal. Moi le premier je suis ravi qu'il dégage et ai du mal à éprouver une quelconque empathie à son endroit. Mais ne pas être en empathie ne signifie pas qu'il faille se réjouir des humiliations ou des souffrances qu'il endure ou va endurer. A partir du moment où lui a été intimé l'ordre de quitter la Tunisie, dès que son pouvoir s'est écroulé, sa cour s'est évaporée. C'est plutôt normal, même si ça démontre une grande veulerie, mais l'être humain est ainsi on ne peut pas non plus vouloir tout changer en un tour de main ! On est plus enclin à rester près de celui qui possède le pouvoir que celui qui, honni par tout un peuple, doit rendre le dit-pouvoir.

En 1945 lorsque les alliés libérèrent l'Italie, Mussolini et Clara Petacci sa maitresse, furent l'objet d'un simulacre de procès, puis furent fusillés et leurs cadavres pendus par les pieds et offerts à la foule hystérique comme de vulgaires trophées de chasse. En 1990 lorsque la Roumanie se  libère de ses chaînes, les époux Ceausescu sont également victimes d'une pantomime de procès puis également fusillés à la va-vite, leurs corps filmés et montrés au monde entier. Le procès de Saddam Hussein, puis son exécution reste, pour sa part, un modèle du genre et je doute que quiconque n'ai oublié ces images. Il est évident que la chute d'un tyran est toujours une bonne nouvelle pour la civilisation. Mais où se trouve la civilisation lorsqu'on va lyncher un homme pour répondre à des années de souffrance ?

Il est assez simple de comprendre les raisons qui poussent les peuples à commettre de telles horreurs. Mais il est impossible de les excuser. Ben Ali va vivre le reste de sa vie sous la coupe d'une mégère qui va passer son temps à l'humilier et à le martyriser ? Certes, mais nous avons le devoir moral de ne pas nous en réjouir. La justice n'est pas la vengeance, et il est inconcevable de répondre aux ordures par les mêmes actes. Certains à droite, la droite républicaine pas l'extrême droite, celle qui nous gouverne même si j'avoue que la frontière entre les deux est très floue, disent en substance que la peine de mort devrait être réinstaurée pour punir certains crimes particulièrement atroces. J'ai même entendu certaines personnes, plutôt libertaires dans leur vision du monde, être en partie d'accord avec cela. Est-ce qu'ils n'exprimeraient pas ici un bon sens certain et qui tendrait à nous faire croire que commettre des atrocités au nom de la justice est acceptable ? C'est ce qu'ils pensent mais ils ont évidemment tout faux.

Une des règles de base d'une société démocratique, évoluée et civilisée est que l'on ne tue pas les gens. C'est comme ça, on ne tue personne. Ça semble évident mais j'admets volontiers que cela soit très compliqué pour le père d'un gamin étant passé entre les mains de Marc Dutroux de l'admettre. Et pourtant cette règle ne souffre d'aucune exception. Aujourd'hui le nain épileptique qui nous sert de président voudrait que la justice soit rendue pour le peuple, au nom du peuple et surtout par le peuple. Les règles qui régissent nos civilisations seraient donc solubles dans la haine et la colère collective ? Cela ne doit en aucun cas se passer, les conséquences seraient catastrophiques.

Aujourd'hui Ben Ali est terré quelque part en Arabie Saoudite. Dont acte. La justice va tenter de le récupérer afin qu'il soit jugé dans son pays, très bien, je suis pour à 200 %. Mais qu'il soit jugé, pas lynché. A chaque dérapage de ce type c'est la barbarie qui gagne du terrain et la civilisation qui perd un peu d'elle-même.

A la fin de la seconde guerre mondiale (on y revient toujours) lorsque les premiers soldats Américains ouvrirent les camps d'extermination nazis et y découvrirent l'horreur absolue il y eut nombre d'exactions commises. Les GI'S devant tant de violence et de barbarie se sont alors comportés comme des barbares à l'encontre des SS présents. Mais la loi du talion ne vaut rien, elle ne cassera jamais le cycle de la violence et de la barbarie. Très vite des directives furent données aux commandants de ces groupes afin de prévenir tout débordement de colère qui seraient exprimés par la torture alors pratiquée sur les nazis. Il y'a quelques temps j'ai lu un livre sur le docteur Josef Mengele qui fut un des pires bourreaux que la terre ait portée. J'avais souvent la nausée et des accès de fureur difficilement contrôlables survenaient très fréquemment. Mais j'étais dans mon salon en train de lire un livre plus de 65 ans après la fin de la guerre….j'ai du mal à imaginer ce qu'a dû ressentir le GI qui a ouvert le premier baraquement d'Auschwitz pour y voir des enfants affamés, mutilés, rendus à l'état de bête et côtoyant la mort à chaque instant. Je pense que le réflexe de faire subir moult sévices au premier kapo qu'il eut sous la main est très compréhensible. Mais il est important de ne pas agir sous le coup de l'émotion, c'est même fondamental dans une société (je le répète mais je ne m'en lasse pas) dite CIVILISÉE !!

A Nuremberg à la fin du procès, les accusés condamnés à la peine capitale étaient amenés dans la cour intérieure du tribunal pour y être pendus. Julius Streicher fut le seul qui trépigna, geigna, insultait ses gardes, crachait au visage du bourreau, pleurait abondamment et même se pissait dessus de terreur. Streicher était celui parmi les 23 accusés (Martin Bormann fut jugé et condamné par contumace) qui obtint le plus faible score au test de QI. Est-ce à dire qu'il était un peu con ? Certainement et ça explique en partie son comportement affligeant dénué de toute dignité ni d'un minimum d'amour-propre. Chacun des condamnés à mort fut pendu de la même façon, à savoir qu'était laissée une corde suffisamment longue pour que lorsque la trappe s'ouvre sous ses pieds, sa nuque se brise sous le choc rendant la mort instantanée. Tous sauf un, Julius Streicher. Comme ils n'arrivaient pas à le maintenir en place il fut pendu par une autre méthode qui provoque l'étouffement et prend du temps, beaucoup de temps. Le bourreau, qui était le bourreau officiel de l'US Army, prit un plaisir évident à tuer Streicher, il fit durer encore et encore le processus se délectant, soi-disant, des souffrances infligées à cette ordure inqualifiable. L'histoire étant très ironique, il fut jugé pour cela et renvoyé de l'armée.

Qui peut en vouloir à un homme de supprimer un criminel nazi ? A priori personne, sauf que….se comporter comme ceux que l'on juge se sont comportés c'est se mettre à leur niveau et ça n'est pas excusable.

Actuellement on assiste à la chute de régimes criminels, même si comme tout le monde je ne comprends pas ce que fait Moubarak à part tenter de mettre le feu à son pays. Ces despotes devront être jugés et leurs procès devront se dérouler sans jamais perdre de vue que nous ne sommes pas des barbares. S'il est toujours plus facile de laisser parler ses plus vils instincts, il est indispensable de lutter contre ça.

Faire souffrir l'autre est, et doit rester, l'apanage des ordures. Il n'est pas pensable que, même pour un instant, nous ayons la volonté de nous mettre à leurs niveaux.  Cet exercice est évidemment loin d'être simple, néanmoins en ces temps troublés où le président de la république flatte notre capacité à la haine et à la violence il est indispensable. Quand Sarkozy déclare que seul lui et les bons français bien dégueulasses et bas de plafond ont de l'empathie pour cette jeune fille démembrée et retrouvée dans un étang près de Nantes, alors que les juges et tout ce qui se déclare attentif aux droits de l'homme et aux valeurs de civilisations sont incapable d'éprouver la moindre empathie, il ne fait rien d'autre que de pousser au lynchage, à se rendre justice soi-même.

Le sadisme nous différencie des animaux, mais ça n'est pas une fatalité. Et il est paradoxal de noter que pour faire évoluer favorablement notre civilisation il nous faille nous rapprocher de nos instincts animaux. Ou du moins nous éloigner de nos instincts propres à l'espèce humaine.

A part ça quelqu'un est-il réellement au courant de ce qui est en train de se passer en Côte d'Ivoire ? Ce que j'ai lu dernièrement m'a terrifié…..

Hasta Siempre le combat se mène chaque jour et partout !



11/02/2011
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