Zone libre

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Dans les méandres malfamés de nos pensées cataclysmiques...

Les rapports qu'entretiennent les humains avec les produits psychotropes sont fort complexes malgré ce que certains peuvent en penser.

Je dirais même qu'ils peuvent être fascinants et extrêmement révélateurs de l'individu, avant même de parler de consommateur et de mode de consommation.

Toutefois ils ne s'en révèlent pas moins dangereux.

 

En m'alimentant de ma propre expérience, de ce que les médecins et psychiatres m'en ont dit et de ce qu'en tant que témoin j'ai constaté au cours des 20 dernières années de ma vie, je suis en mesure d'affirmer que je ne peux en aucun cas généraliser !!

Et je vous avoue que c'est assez ennuyeux car si ma vie semble être un bordel sans nom, j'aime que les choses soient ordonnées dans mon crâne.

Néanmoins une discussion récurrente et stérile à laquelle moi et ma compagne nous adonnons parfois me pousse ce matin à tenter, malgré tout, une sorte de classification, d'analyse on ne peut plus empirique qui peut éventuellement me permettre de répondre à des questions qui me sèchent et attisent ma colère.

 

Or la colère est une très mauvaise conseillère et s'il est bien une personne sur cette terre contre qui je ne supporterais pas d'être en colère c'est bien elle…

 

Depuis des milliers d'années l'homme a cherché à exploiter les propriétés psychotropes de produits naturels ou légèrement transformés à des fins aussi multiples que dérisoires.

Le shamanisme qui voit ses origines en Sibérie et s'est étendu largement d'Asie en Amérique pour muter en diverses religions, ou pratiques obscures desquelles il serait intéressant de causer j'en conviens, mais ce qui nous éloigneraient du sujet du jour, a en quelque sorte vulgarisé l'usage de drogues et les a rendu indissociables de ces dites pratiques.

Enfin pas toutes et pas partout, il est vrai, mais c'est en cherchant bien ce que je trouve de plus ancien et cohérent dans ce que l'on peut nommer un usage « institutionnel ».

 

Alors comme on n'est pas en train de rédiger une thèse d'histoire ou d'anthropologie je vous saurais gré de ne pas relever les erreurs et incohérences dont ce texte risque d'être parsemé…je vous remercie !

 

Donc nous voilà à l'aube de la civilisation, enfin celle que l'on connaît, la nôtre en quelque sorte. Et dès le départ certains ont cherché à se droguer.

La première raison semble être la capacité qu'ont certains produits à faire entrer son consommateur dans une sorte de transe, ou d'état second ce qu'il interprétait comme le fait de se rapprocher des divinités, ne plus faire vraiment partie des hommes pour pouvoir causer avec le grand patron !

C'est un peu con je vous l'accorde, mais je dois quand même rappeler qu'à cette époque Internet fonctionne très très mal et wikipedia n'en est qu'à ses balbutiements, alors forcément on a tendance à croire le premier gars un peu original qui passe et se met à déclamer quelques idées peu conventionnelles.

Alors on mâchonne de la coca, on fume du peyotl, on se fait des infusions de « psylo »…bref on prend du bon temps sous couvert d'une quelconque raison spirituelle.

Elle a bon dos la spiritualité, le fait est que se droguer c'est bon et que les gens aiment ça !

 

On trouve trace de la fabrication de bière dans l'Egypte ancienne, de vin chez les Grecs et les Romains.

On peut se faire une carte de consommation des drogues quelles qu'elles soient et on serait surpris de constater que chaque population possède ses propres produits.

La défonce est antérieure à la religion, ce qui quelque part me rassure un peu.

 

Les sociétés se structurant, les religions imposant leurs interdits, l'usage des drogues est petit à petit canalisé mais toujours associé à certaines pratiques assez précises.

 

En étant manichéen et donc forcément dans l'erreur on peut dire que le nord picole et que le sud fume.

S'il est interdit de consommer de l'alcool au sein des sociétés ou l'Islam a une grande influence, il est d'usage de fumer du cannabis ou apparenté. A l'inverse dans les sociétés chrétiennes le vin étant « le sang du Christ » en boire n'est pas du tout tabou voire sa consommation est encouragée.

Quand je vous dis que la spiritualité a bon dos…

 

Les drogues ont longtemps été réservées à une élite. Les chamans et les nobles dans les sociétés polythéistes. Le clergé et là aussi la noblesse dans les sociétés monothéistes.

Ils sont malins les nobles quand même…

 

Et puis au fil du temps l'usage des stupéfiants s'est démocratisé, et en touchant les couches les plus défavorisées et les plus pauvres de la société c'est là que ses ravages commencent à opérer.

 

Comme je manque de temps et de matériau d'étude je vais me contenter de parler des sociétés occidentales.

 

Lorsque l'on observe ce qui est consommé aujourd'hui et ce qui l'était il y'a 150 ans il est intéressant de constater que les produits en eux-mêmes n'ont pas vraiment évolués et que les mêmes causes provoquent les mêmes conséquences.

 

Un des produits phare autour duquel s'articule la pharmacopée des stupéfiants (j'utilise sciemment le terme pharmacopée et je vais y revenir) est l'opium.

 

Produit principalement en Chine et importé en toute légalité par les Anglais, l'opium était consommé de manière presque naturelle jusqu'à la fin de l'époque Victorienne.

Les fumeries d'opium fleurissaient dans l'Angleterre de cette époque ou notables et intellectuels venaient s'y offrir de vénéneux plaisirs sans craindre de représailles, et sans être montrés du doigt.

Ce point est important car la dimension de l'interdit et de la transgression est fondamentale pour comprendre la toxicomanie.

Or à l'époque la consommation étant légale, il n'était pas mal vu d'être opiomane.

Et pourtant ça accroche sévèrement ce truc là !!

 

J'en ai fumé quelques fois et si l'effet est moins fort que celui de l'héroïne on s'en approche et cela entraîne une addiction lourde, douloureuse et très compliquée à soigner.

 

Je reviens un instant sur le terme de « pharmacopée ».

Il se trouve en effet que les drogues telles que nous les connaissons aujourd'hui sont pour la quasi-totalité des produits ayant au départ une fonction médicinale. Ce sont des médicaments qui ont été détournés de leur usage premier.

De l'opium ont fait de la morphine base. Premier anti-douleur connu et utilisé depuis de nombreux siècles.

De la coca on produit de la cocaïne, encore largement utilisée dans de nombreux anesthésiants.

L'usage de cannabis était prescrit pour calmer douleurs légères et anxiété. La reine Victoria elle-même en fumait pour moins souffrir de ses règles douloureuses. Bon peut-être en rajoutait-elle un peu, mais nous ne sommes en aucun cas ici pour juger.

D'ailleurs la prescription médicale de cannabis est encore aujourd'hui pratiquée dans les cas de cancers ou bien pour les malades du Sida, et notamment aux Etats-Unis, pays hautement schizophrène et hypocrite en ce qui concerne la consommation de stupéfiants.

Toutefois si les médecins avaient trouvé en la morphine un puissant anti-douleur ils avaient remarqué que le produit entraînait une forte dépendance.

Qu'à cela ne tienne dès 1874 l'héroïne est synthétisée dans l'optique de se substituer à la morphine avec l'espoir qu'elle n'accrocherait pas autant les usagers.

On peut dire qu'ils ont tapé dans le mille.

L'héro provoque une addiction bien plus importante que la morphine et à fortiori que l'opium.

Dommage, c'était bien tenté…

 

Le LSD qui fut synthétisé lui par le chimiste allemand Albert Hoffmann n'avait pas spécialement d'usage médical direct, et pourtant il fut utilisé pour soigner psychoses et névroses.

 

Ça pour le coup c'est quand même gros, je ne sais pas si vous avez déjà pris un acide mais s'il y'a bien un truc qui n'arrange pas le cerveau c'est bien ça !

 

En bref les drogues ont donc été produites à des fins thérapeutiques puis furent détournées de leur usage premier car elles procuraient du plaisir, tout simplement.

 

Les drogues que l'on peut qualifier d'historique (morphine, cocaïne, héroïne, LSD, amphétamines…) ont donc toutes la particularité étonnante d'être des médicaments.

D'ailleurs je me souviendrais toute ma vie du moment ou pour la première fois j'entrais dans le cabinet d'un médecin psychiatre pour soigner une addiction à l'héroïne, j'avais 19 ans et plus aucun repère. Il m'a été demandé quel était mon mode de consommation et j'ai répondu l'injection en intra veineuse. La réponse qui m'a été donné me choque encore et pourtant il m'en faut : « Mais ça n'est plus à la mode de se shooter vous savez ? Et puis il ne faut pas culpabiliser l'héroïne n'est rien d'autre que le plus ancien médicament au monde ! »

J'étais loin d'avoir besoin d'entendre ça, et d'ailleurs cette thérapie fut un échec complet…fin de l'aparté.

 

Outre les drogues « historiques » il existe un certain nombre de drogues plus récentes et qui elles n'ont jamais été conçues dans un quelconque but thérapeutique. On y trouve le crack, qui a été conçu dans les ghettos du Bronx au milieu des années 80 dans le seul but de fabriquer une drogue hautement addictive et au rendement financier imbattable ; les ecstasys bien que dérivées des amphétamines et metamphétamines sont également des produits conçus dans le seul but d'en faire commerce, le Cristal Met est également un produit de cette catégorie et il y'en a certainement de nouveaux chaque jour, l'imagination des chimistes semble être sans limite !

 

Il existe donc une multitude de produits pour autant d'effets différents. Il parait donc bien compliqué de faire le portrait-type du toxicomane occidental !

En effet fumer un joint et s'injecter un mélange de cocaïne et d'héroïne en intra veineuse n'a absolument rien à voir, ni dans l'effet recherché ni dans la symbolique du geste.

Les différents modes de consommation et d'absorption de ces produits ne sont pas anodins, loin de là.

Il y'a quelques années un de mes camarades qui avait décidé de décrocher était sous méthadone. Or il est impossible de s'injecter de la méthadone, enfin pas impossible mais c'est très risqué et ça n'a aucun intérêt. Pour lui la substitution était un moyen sûr de s'en sortir et avait accepté l'idée de se séparer de l'héroïne, toutefois je me souviens avoir échangé avec lui des cachets de subutex contre de la méthadone pour la simple raison que le subutex est injectable si l'on sait le préparer (c'était vrai à l'époque, depuis ils ont modifié les excipients ce qui rend la chose complexe et dangereuse).

Finalement ce qui lui manquait était autant le rituel de se préparer son fix que le produit en lui-même.

 

J'étais minot à l'époque et je n'avais pas encore cherché à décrocher cela m'avait donc interpellé. Plus tard j'ai vécu exactement la même chose.

La symbolique de préparer son crack ou un shoot est d'une puissance dévastatrice.

 

Quelle en est la raison ?

Certes le flash ressenti lors de ces prises n'a pas d'égal mais il est court, et l'effet du produit est sensiblement le même ensuite.

Mais c'est ainsi, on projette tant de choses dans les stupéfiants que leur usage dépasse rapidement et largement le cadre du seul plaisir induit par le dit produit.

 

Peu avant de mourir Mano Solo lors d'une interview disait que le problème de la drogue était l'ennui.

Il s'est défoncé à l'âge de 15 ans en jouant aux fléchettes avec ses bras par ennui…

J'ai fait la même chose par haine de moi-même, il n'y avait nul ennui dans mon geste, et pourtant cette notion d'ennui est, je trouve, très intéressante.

 

Cela doit être vrai, et finalement je l'ai constaté moi-même à de nombreuses reprises lorsque j'y pense.

 

Les petits cons des quartiers chics qui prennent de la coke le samedi soir pour sortir en boite le font certainement autant par ennui que par crétinerie.

 

Je me permets de juger car je m'estime en droit de le faire. J'ai été accro aux trois grandes drogues qui malmènent le monde occidental à l'heure actuelle à savoir l'héroïne, la cocaïne et le crack.

De ces produits je suis sorti non sans mal mais je sais m'en tenir éloigné.

J'éprouve depuis une réelle empathie pour les consommateurs d'héroïne et de crack, car je sais la souffrance, le manque et la chute inexorable que l'on vit lorsque l'on est toxico à l'un de ses produits.

Par contre je n'éprouve que mépris pour les consommateurs de coke.

Prendre de la coke est d'une rare stupidité et rend les gens totalement abrutis. C'est une merde extrêmement dangereuse qui est considérée comme « récréative ».

Belle connerie.

Aucune drogue dure ne peut être récréative, c'est totalement antinomique penser que ça n'est pas grave, qu'on s'amuse c'est le week-end et que tout le monde le fait est simplement de la bêtise.

Les petits connards qui s'en mettent plein le pif pour faire comme les vrais ne méritent que mépris, sauf s'ils demandent de l'aide auquel cas les choses deviennent évidemment différentes.

 

Un ancien ami, toxico au crack, m'a dit un jour ou il se targuait de « gérer » le produit que désormais il ne le respectait plus, donc il estimait qu'il était devenu maître de lui et de sa consommation.

Quelle erreur monumentale…et surtout quelle arrogance ! On ne peut être maître de quoi que ce soit dès lors que l'on consomme de tels produits.

 

Toutefois une chose était intéressante dans son propos, c'est la notion de respect. Respecter ou non le produit est une chose que chaque toxicomane considère un jour ou l'autre. Ne pas respecter le produit, dans ce contexte, revient à ne plus le sacraliser, à se croire détaché de lui et donc la prise n'est plus un besoin mais un plaisir.

Il va de soi que cela n'est qu'un leurre, comme finalement tout ce que l'on est capable de dire ou de se dire pour justifier la prise d'un produit.

 

Mon psychiatre m'a dit il y'a quelques temps que consommer s'apprenait. Qu'il fallait savoir boire, savoir fumer, savoir consommer sans excès et surtout sans placer dans le produit toutes ses névroses et/ou psychoses.

 

Un des problèmes fondamentaux de la toxicomanie est ici : que signifie la prise de drogue ?

Quelles psychoses cherche-t-on à masquer dans la prise d'un produit ? Et surtout quelle vertu pense-t-on que le produit possède ?

 

Pour avoir fait à peu près tout ce qu'un être humain puisse faire en terme de défonce je sais ce que je cherchais à étouffer quand je me défonçais. Mais par contre en 15 ans de toxicomanie je n'ai jamais cru un seul instant que la prise d'un produit pouvait m'aider à gérer une situation compliquée, ou que je me disais être comme telle.

J'étais guidé par le manque ou par le plaisir. Parfois par l'ennui, souvent pour la sensation de m'évader de ce corps trop étroit.

Mais jamais je n'ai considéré qu'ils n'aient d'autre vertu que de m'enfoncer un peu plus dans la misère.

Les drogues n'ont aucun avantage. Certains me disent qu'ils doivent boire pour peindre, ou sniffer de la coke pour écrire, ce sont des lâches et des menteurs.

 

Il est facile de dire ça maintenant alors que je suis passé par toutes les phases, j'en conviens aisément. Toutefois j'ai compris que la défonce ne me définissait pas et qu'elle ne définissait personne. Elle est comme un parasite qui vous pompe votre énergie, votre bonheur, votre vie…

 

Lorsque au cours de visites à l'hôpital je rencontrais des personnes internées pour consommation pathologique de cannabis j'avais du mal à comprendre.

En effet voilà 20 ans que je fume des joints et jamais je n'ai connu ce que j'ai pu connaître avec le reste.


Je suis évidemment dans l'erreur en disant que c'est un produit anodin car ça ne l'est pas. Il existe en effet des personnes qui vont placer dans la consommation d'herbe leurs névroses, leurs angoisses et donc faire d'un produit à l'effet bien faible, un produit addictif.

 

Le cannabis est dépressogène un peu comme l'alcool mais en tellement moins fort…et puis on ne peut être accro physiquement au cannabis.

 

Il n'existe pas deux toxicomanes identiques, il n'existe pas deux toxicomanies identiques. L'usage des drogues en elles-mêmes ne poseraient pas de problèmes si nous n'y mettions pas toutes nos névroses, si dans ce fourre-tout nous ne tentions de croire que cela apportera une quelconque réponse à des questions que parfois on a nous-mêmes oublié !

 

Certains pourront se détruire uniquement en fumant des joints, alors que d'autres pourront en fumer toute leur vie sans dommage, sans que leurs vies ne se délitent.

Certains encore auront une tolérance plus grande aux opiacés ou bien, à l'inverse, ne supporteront pas l'effet d'un rail d'héroïne.

Mon plaisir n'est pas celui du voisin, je ne plane pas pour les mêmes raisons, avec les mêmes produits etc.

Car la composante première des drogues reste quand même le plaisir, quelle que soit la drogue.

Malheureusement il est compliqué de séparer ce que l'on doit résoudre sur nous-mêmes et l'usage de stupéfiants. Dès lors il est impossible de transiger, de composer…j'ai cru pouvoir le faire durant des années, et garder une relation régulière bien qu'espacée dans le temps avec certaines drogues.

Je me trompais lourdement et je n'ai d'autre choix que d'éradiquer totalement et sans aucun compromis les drogues dures de ma vie.

 

Le sujet me passionne, j'y ai consacré près de la moitié de ma vie, mais j'ai joué avec le feu d'un peu trop près et m'y suis tant brûlé que plus jamais je n'accepterai qu'un produit quel qu'il soit n'oriente ma vie.

 

Quelle qu'en soit la raison la prise d'une drogue n'est pas anodine. Pourtant il faut bien un jour cesser d'en prendre. Ce qui rend complexe l'arrêt des drogues n'est pas tant le produit en lui-même mais bel et bien ce que chacun d'entre nous en faisons.

 

Je vous souhaite un bon week-end.

 



16/04/2010
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