Zone libre

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20 ans après

Ce lundi matin, comme chaque matin, je me réveille avec les douces et intelligibles voix de la rédaction de France Inter qui m'informe sous la douche avant de pouvoir aller briller dans quelque déjeuner mondain, quelque vernissage prétentieux voire une exposition d'hideux tableaux devant lesquels il est de bon ton d'exprimer son admiration mâtinée de surprise, avec cette petite expression désabusée qui sied si bien à cette population.

Ouh là je me suis un peu emmêlé les crayons dans cette longue et pompeuse phrase, qu'importe !! J'assume.

Donc ma radio préférée déblatère dans le poste. Ce n'est pas grand chez moi, c'est un euphémisme, mais j'ai mis en place un système me permettant d'avoir une sortie audio à chaque endroit stratégique de ma maisonnée.

La douche en est un. Ah quel bonheur de sentir la chaleur du flot de ces gouttes anarchiques qui telles autant de caresses d'anges viennent mourir sur ma nuque et dégoulinant le long de mon superbe corps musclé jusqu'à mes pieds, le tout en écoutant quelque chronique intelligente d'un Bernard Guetta ou d'un Bernard Maris.

Y'a un paquet de Bernard à Inter, je me demande s'il y'en a une raison ? Peut-être, faudrait chercher.

Mais ce matin quelque chose de différent attira mon oreille alerte ! Les jingles ! Vous savez ces petites virgules sonores que la radio utilise pour ponctuer ses différents programmes, certains s'apparentent à des génériques, d'autres à une ou deux notes disparates formant un gimmick reconnaissable entre mille. Seulement voilà, ce matin les jingles n'étaient pas les mêmes ! C'est en shampooingnant allègrement ma longue chevelure auburn que la lumière vint : Ces jingles étaient les mêmes que ceux de mon enfance…Finalement Proust n'est pas qu'un érotomane perturbé et illisible, il avait tout simplement raison avec sa madeleine !

Quelle émotion mes amis ! Quelle sensation étrange et merveilleuse d'avoir 15 ans de nouveau ! Merveilleuse ? Non quand même pas, en fait si j'avais 15 ans de nouveau j'imagine que je ferais les mêmes conneries pour me retrouver le même à 35 ans ! Mais qu'importe. L'habillage sonore de la radio en ce lundi 2 Novembre 2009 avant quelque chose de carrément suranné voire ringard, or ce ne sont que quelques notes de synthé et rien d'autre…le cerveau humain me fascinera toujours autant.

Alors je me demande qu'elle est la raison de ce changement d'ambiance ? Quel intrépide réalisateur décida que la matinale de France Inter devait prendre un coup de vieux ? Nicolas Demorand lui-même avait-il des rouflaquettes et un costume de velours beige ???

Ouais j'me gourre un peu d'époque là, mais je ne trouvais pas grand-chose, l'important n'est pas la forme mais le fond de ce que je veux dire.

Et ce que je veux dire est simple : Le 09 Novembre 2009 nous fêterons les 20 ans de la chute du mur de Berlin.

Magnifique moment que chacun de nous a vu en direct à la télévision à l'âge (je parle aux gens de ma génération pour le coup) ou les méchants habitent de l'autre côté de ce mur, symbole d'un monde bipolaire dans lequel nous grandîmes, et qui allait voler en éclat posant nombre de problèmes auxquels en jeunes adolescents idéalistes nous n'étions pas à même de songer.

Je me souviens parfaitement des images en provenance de Berlin, ces milliers de manifestant tapant brutalement à coup de masses sur cet infâme édifice de béton, symbole de la folie des hommes. Et puis le moment où les mains se rejoignent est absolument poignant.

Il est des images qui marquent des vies entières. Les gens de mon âge, ou à peu près, ont vu en direct les enfants aux ventre gonflé du Sahel Africain, l'agonie de cette petite fille aux yeux verts après je ne sais plus quelle catastrophe naturelle en Colombie (comme quoi on retient les images et pas toujours les faits eux-mêmes), la mort des supporters italiens et Anglais lors d'une finale de coupe d'Europe de football entre la Juventus de Platini et le club de Liverpool, les avions venant s'encastrer dans les tours du World Trate Center en 2001, le procès et l'exécution sommaire des époux Ceaucescu, et donc le mur de Berlin.

Toutes ces images ont du sens en elles-mêmes. Elles sont fortes, emblématiques et font parties à jamais de notre culture populaire.

Quand est tombé ce mur j'avais 14 ans. Je n'avais pas vraiment de conscience politique, je n'avais pas spécialement d'avis mais les communistes étaient les méchants pour moi gamin de l'Ouest.

J'ai évidemment construit mes propres idées, et l'ironie est que si j'avais été celui que je suis aujourd'hui à l'époque, mon enthousiasme aurait été certainement atténué.

Attention, je ne dis pas qu'il ne fallait pas faire exploser la chape de plomb soviétique qui pesait sur l'Europe de l'est et une bonne part de l'Asie ! Au contraire. Si j'ai de l'affection pour les communistes, si je partage nombre de concepts décrits par Karl Marx, si j'ai une rage démesurée envers la droite et ce qu'elle représente, je ne peux défendre la dictature et la liberté n'a, selon moi, aucune couleur politique !

Mais quid du monde 20 ans après ? Et quid de l'Allemagne elle-même ?

La réunification a coûté très cher à l'Allemagne et à l'Europe, elle a certainement freiné le développement de l'Allemagne de l'ouest mais ce fut nécessaire. Néanmoins il y'eut des gagnants évidents à l'ouverture mais s'il y'a des gagnants…il y'a des perdants !

Et les perdants de l'ex RDA sont quand même assez nombreux. J'écoutais vendredi soir, justement sur cette radio nationale à l'identité bien marquée, un reportage en ex-RDA. La journaliste s'était focalisée sur une ville symbole du pays, près de Dresde. Une petite ville qui au temps du communisme produisait nombre de pièces détachées pour les machines-outils dans une gigantesque usine, dont j'ai oublié le nom, mais peu importe.

A l'époque tout le monde travaillait dans la dite usine. Il y'avait 27 000 travailleurs. Certes ils gagnaient peu mais avaient du travail, personne ne se couchait avec la faim au ventre. Bon ils ne pouvaient pas parler ni s'exprimer, mais ils mangeaient. Et puis parler la bouche pleine ça ne se fait pas, même chez les communistes.

Désormais il reste 2700 personnes qui travaillent à temps partiel dans cette ville. Partiel car il n'y a pas assez de travail, et la grande majorité des habitants, surtout les jeunes, ont pris la direction de l'ouest. Normal me direz-vous, c'est humain et logique.

Mais certains sont restés. Mais qui finalement pouvait rester dans ce no-man's land sans avenir ? Les retraités et les chômeurs trop pauvres ou trop attachés à l'endroit ou ils vivent depuis toujours, pour partir.

Un type racontait qu'il était au chômage depuis 2002, que chaque matin il allait chercher du travail et n'avait absolument rien trouvé depuis 2002. Un autre n'avait plus aucune allocation depuis 2005 etc.…

C'était émouvant d'entendre ces gens qui étaient prêts à travailler n'importe où, de faire n'importe quoi pour conserver leur dignité, mot dévoyé depuis un moment mais qui, ici, prend absolument tout son sens. Entendre un type de 50 ans des sanglots dans la voix expliquer la complexité de structurer sa journée chaque matin lorsque l'on ne travaille plus depuis 7 ans, et bien ça vous empoigne le bide, vous le tort pour ne plus le lâcher.

La journaliste lui demande alors s'il regrette l'époque soviétique. Et lui sans hésiter de répondre oui.

De dire qu'à l'époque la solidarité était réelle entre les personnes. Que finalement ils étaient plus heureux dans leur prison à ciel ouvert.

Voilà quelques années un vieux croate m'avait également expliqué qu'à l'époque du bloc soviétique, ils cessaient tous de travailler à 14 heures et que l'après-midi ils s'adonnaient au marché noir et ainsi amélioraient tous leur quotidien aux vus et sus des autorités.

Il va de soi que la chute du mur est un symbole magnifique mais finalement un épiphénomène car cela faisait des années que les esprits se fissuraient et que paradoxalement la peur était en train de changer de camp. Aux dernières heures, la terrible Stasi était totalement déboussolée et la panique n'était pas loin.

Le sens de l'histoire a été que ce monde bipolaire disparaisse au profit d'un monde on ne peut plus multipolaire.

On peut être d'accord ou non, en phase ou non, moi personnellement je suis bien évidemment un partisan de la liberté et un farouche opposant aux inégalités.

Seulement voilà, si l'une s'est étendue et installée là ou elle devait le faire, l'autre ne fait que croître.

20 ans après qu'est ce qui reste du bloc soviétique ? Mais surtout 20 ans après quel constat pouvons-nous tirer de cet éclatement ?

Un des leitmotiv classique des libéraux est de dire que le capitalisme permet de tirer les choses vers le haut, c'est-à-dire d'élever l'humain. Si, si je vous assure.

Alors si l'économie de marché a permis à nombre d'indiens de ne plus crever la dalle, qu'en est-il des populations de l'Europe de l'est ?

Quel bilan tirer de ces 20 ans de libéralisme acharné ?

Parfois je me dis que le pire fut certainement évité par le simple fait géographique que l'Allemagne soit…en Allemagne !

C'est pas si con cette phrase, je veux simplement dire que le capitalisme version Allemande, mâtiné de protection sociale, de considérations humaines et obsédée par la qualité des produits et des services ; est quand même plus acceptable pour un gauchiste de mon crû que le libéralisme anglo-saxon.

Que ce serait-il passé si le mur eut été abattu et qu'aucun accompagnement financier, psychologique, social, ne fut apporté aux habitants de l'est ? Bref de tout ça je n'ai absolument pas de réponse. J'ai quelques bribes d'avis sur un point, quelques chiffres sur un autre et une montagne de questions sans réponses (à la tienne Alain !).

On va en bouffer du mur, mais si on célébrait cet évènement « intelligemment » ? C'est-à-dire en étant certes heureux que cela se soit passé, mais également critique et interrogateur sur l'état des lieux du monde 20 ans après ?

Moi je vais tenter de le faire ainsi. Car la liberté ne se réduit pas à pouvoir aller et venir ou l'on souhaite. Elle inclut le pouvoir de se nourrir, s'habiller, s'instruire décemment.

Or je n'ai pas l'impression que ça soit le cas partout.

J'ai acheté un livre illustré sur les colonies françaises ce samedi, c'est peut être pour ça que je me pose ces questions ce matin…et vivement qu'ils remettent le bon jingle sur Inter !

Je vous souhaite une lumineuse bien que certainement humide journée !!

Hasta Siempre Camarades !



02/11/2009
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